« L’Ontario décrète la fermeture obligatoire de tous les lieux de travail non essentiels pour lutter contre la propagation de la COVID-19. » C’est le titre d’un communiqué publié par la province. Nous sommes le 23 mars 2020.

Les autorités émettent des directives de réduire au minimum les déplacements entre les régions et les provinces, et d’éviter les sorties non essentielles. Évidemment, l’hôpital ne figure pas sur la liste des endroits visés par cette directive. Au contraire, on se prépare au combat.

Chapitre III

En guerre contre le virus

Depuis quelques jours, une nouvelle expression fait son chemin sur toutes les lèvres : distanciation sociale. « Deux mètres ! » Après les transformations pour être prêts à accueillir plus de gens, il faut maintenant réaménager pour faire de l’espace.

Les chaises dans les salles d’attente, il y en a trop. Les tables dans les salles de pause, même chose. Le nombre de personnes dans un bureau, réduit de moitié, voire davantage. Pour entreposer tout ça, on fait appel à des conteneurs, que l’on stationne à l’extérieur de l’hôpital.

Des diviseurs en plexiglas font leur apparition entre les chaises qui restent, et comme barrière contre les gouttelettes entre les patients et le personnel d’accueil, aux points d’inscription. Des flèches sont apposées au sol ; on veut diriger la circulation, éviter que les gens ne se croisent inutilement.

La même semaine, on lance une application d’autoévaluation avant un quart de travail – une sorte de précurseur du passeport vaccinal qui viendra plus tard – pour fluidifier l’accès à l’édifice pour le personnel.

Pendant les premières semaines de la pandémie, l’incertitude ne se limite pas qu’à la méconnaissance du virus et de la maladie ni à l’évolution constante des directives ; la chaine d’approvisionnement aussi sème les doutes.

Le défi des ÉPI

« On comptait les masques, on comptait les heures avant de pouvoir les changer. » C’est le souvenir que partage Jocelyn Veillard, alors gestionnaire clinique de l’unité COVID-19, sur la question des masques et des équipements de protection individuelle – les fameux « ÉPI ».

Avec l’incertitude viennent les craintes, et les réflexes de se protéger. « Est-ce qu’on peut porter un masque ? Des uniformes ? » Les questions font rapidement surface. On demande d’abord aux équipes de l’Urgence et des Soins intensifs d’en porter. C’est là que sont vus les patients avant que l’on ne sache si des précautions additionnelles sont requises. C’est aussi là où les équipes sont appelées à intervenir rapidement et à faire des procédures à plus grand risque.

« En suivant ces mesures, nous aurons assez d’ÉPI, de masques et d’uniformes lorsque nous en aurons le plus besoin. » C’était le 24 mars. Trois jours plus tard, revirement de situation : le personnel qui a des interactions directes avec les patients – à moins de deux mètres ! – devra porter un masque en tout temps.

« Si nous avons émis cette directive, c’est que nous avons assez de masques pour soutenir cette mesure de sécurité », pouvait-on lire dans le message annonçant la directive. « Il est toutefois nécessaire de respecter les directives d’utilisation et d’éviter le gaspillage pour que cette mesure puisse être maintenue. »

Ça illustre la volatilité de la situation. Alors que des équipes s’affairaient à réaménager des locaux et que d’autres se familiarisaient avec de nouvelles procédures cliniques, une autre, dans l’ombre du sous-sol, était tout aussi impliquée dans cette bataille.

« Dieu sait à quel point la pandémie a perturbé l’approvisionnement en ÉPI ! » Daniel Anctil est alors directeur de l’approvisionnement et de la logistique. « On a du développé de nouvelles sources d’approvisionnement, parfois peu orthodoxes, pour répondre à la demande tout en respectant les normes très élevées pour la qualité du matériel. »

En dépêche, l’équipe développe des liens avec de nouveaux fournisseurs, notamment d’articles promotionnels – comme des t-shirts, des trophées, etc. – qui devaient pouvoir nous approvisionner en masques. En contexte de pénurie, toutes les options sont sur la table.

« Une des compagnies qui voulait se promouvoir auprès de l’hôpital a laissé une boîte d’objets promotionnels à l’entrée de l’aile B, à l’attention du PDG » raconte Daniel. « L’entrée n’était plus utilisée à cause des mesures en place. Ça a déclenché une alerte à la bombe parce que le colis était suspect… »

Les règles du jeu ne sont plus les mêmes. On explore de faire produire des masques en tissu qui pourraient être lavés à l’hôpital. C’est par l’entremise d’un groupe Facebook de couturières que Daniel constate l’intérêt de la communauté, mais la faisabilité – et la salubrité – l’emportent et l’idée ne se concrétise pas. « C’était vraiment compliqué. » On donnera cependant ces masques aux visiteurs, pendant un certain temps.

Malgré les défis, l’ingéniosité était au rendez-vous, et certaines idées à priori farfelues se concrétiseront. « On a travaillé avec le programme d’ingénierie de l’Université d’Ottawa pour créer des visières avec des imprimantes 3D », explique Daniel. « Le Conseil national de recherches a développé un prototype de “laveur” pour désinfecter les N95, pour pouvoir les réutiliser. On avait même commencé à récupérer et entreposer des masques qui avaient été portés, mais on ne s’est jamais rendu plus loin ; ils ont éventuellement été jetés. »

Les ÉPI ne sont pas nouveaux en milieu hospitalier, mais c’était jusque-là des mesures somme toute occasionnelles. En quelques jours, ça devient partie intégrante du quotidien. Face à la demande, on offre des formations sur le port des ÉPI à l’auditorium ; quatre fois par jour, tous les jours. Début avril, une « Équipe ÉPI » est formée ; un peu comme des coachs pour le personnel sur le terrain.

« Par la suite, c’est le Purell qui est devenu tellement rare qu’on a eu recours à des distilleries locales pour “formuler” du désinfectant à base d’alcool », ajoute Daniel. « On sentait le lendemain de veille en entrant à l’hôpital, c’est un drôle de souvenir. »

Écouvillonnage nasopharyngé

Un autre terme s’ajoute aussi à notre vocabulaire, au printemps 2020. Ces cotons-tiges qui servent à faire les prélèvements dans le nez et dans la gorge, quand on passe un test de dépistage pour la COVID-19 : les écouvillons de prélèvements nasopharyngés. On apprend aussi très rapidement ce qu’est un test PCR ; ce n’est que plus tard que les tests d’antigène rapides seront plus répandus.

Les directives arrivent rapidement. Il faut contenir la transmission du virus, dépister la population – selon des critères qui changeront souvent – et protéger les hôpitaux. Une nouvelle approche s’impose : des centres d’évaluation et de traitement en communauté.

« On avait une semaine pour ouvrir une clinique », se souvient Marie-France Cuerrier, agente en transformation. « Quand on est arrivé à Heron, c’était vraiment abandonné. »

« On ne parlait pas vraiment de dépistage, c’était encore vague », raconte Marc-André Sabourin, alors gestionnaire des cliniques ambulatoires. « Il y avait une longue liste de médicaments. J’avais le sentiment qu’on avait un peu comme mandat d’aller ouvrir un autre centre hospitalier. » En effet, la clinique devait initialement être un centre de traitement pour les gens présentant des symptômes de virus respiratoires, dans l’intention que ces personnes évitent de se présenter à l’Urgence.

« C’était beaucoup de changements, mais étant déjà un hôpital Lean, on avait l’habitude de toujours optimiser nos processus pour améliorer l’expérience des gens », ajoute-t-il.

En quelques jours, dès la mi-mars, c’est toute une équipe qui s’active, pratiquement 24 heures sur 24, pour transformer des locaux laissés en désuétude. On érige des murs temporaires, on réfléchit au parcours des patients pour minimiser les risques de transmission, on amène tout l’équipement nécessaire… et on forme une équipe! ..

Rapidement, un point commun ressort des témoignages des collègues qui ont vécu les débuts de « Héron » (en prononçant l’accent), comme l’équipe l’appelait affectueusement : l’entraide était à l’honneur.

« Ce dont je suis le plus fière, c’est de l’équipe Montfort » dit Marie-France, sans hésiter. « … des gens qui se sont revirés de bord du jour au lendemain. J’ai travaillé avec des collègues avec qui je n’avais pas vraiment travaillé de proche avant. »

« J’ai des flashs de Normand Bisaillon, que je textais le soir quand il nous manquait quelque chose pour le lendemain… » ajoute Marc-André. « Quand j’arrivais à 5-6 heures du matin, les choses étaient sur mon bureau. J’ai jamais su comment il faisait… »

L’entraide, c’est aussi comme ça que Dre Chantal D’Aoust-Bernard est devenue l’une des responsables médicales de la clinique, avec Dre Mélanie Mehan. « Je m’en souviendrai toujours, je partais du salon des médecins », explique-t-elle. « J’ai croisé Dr Stéphane Roux (alors médecin-chef). J’ai dit “Est-ce que je peux t’aider ?” ». Il n’en fallait pas plus.

Des exemples comme ceux-là, il y en a pour écrire un livre.

« Le groupe était phénoménal », comme le dit Marc-André. « On se textait le soir pour faire sûr que tout le monde allait prendre une marche. Il y avait une collégialité comme on n’en a pas connu avant, on est devenu comme des frères et sœurs. »

« La force de l’équipe à la clinique ; un moment donné on a senti qu’on avait pris le dessus », raconte Dre D’Aoust-Bernard. « C’est ce qui m’a redonné espoir. » C’est aussi ce dont elle est le plus fière. « L’entraide qu’on avait, l’équipe qu’on avait, comment on pouvait s’entraider entre les professions, avec bienveillance, en faisant des debriefs, en étant constamment en apprentissage. »

« La COVID, c’est mon Bénin, c’est mon Médecins Sans Frontières. C’est la plus belle expérience de ma carrière. »

Aménagé dans une ancienne école, la première clinique de dépistage gérée par Montfort en communauté ouvre ses portes le 9 avril. La clinique accueille 211 patients la première semaine ; on y atteindra par la suite un nombre record de 471 visites en une journée. C’est plus de 60 000 tests – et autant d’écouvillons nasopharyngés – qui y seront passés en un peu plus d’un an.

Les arcs-en-ciel de l’espoir

Alors que la majorité de la population passe son printemps confiné – pour aplatir la courbe – un mouvement de solidarité – presque de sympathie – prend de l’ampleur. À mesure qu’on apprivoise le virus et l’incertitude qui l’accompagne, on trouve le moyen, l’énergie, d’avoir encore un peu de compassion, pour soi et pour les autres.

À l’hôpital, toutes sortes d’initiatives voient le jour, avec un fil conducteur : rassurer les troupes. Fin mars, on met en place la Ligne Info-COVID, un centre d’appel équipé pour répondre aux diverses questions du terrain. Une foire aux questions – voire une banque de connaissances, qui évolue au fil des nouveautés – fait aussi son apparition. On partage des webinaires, des formations, des opportunités d’apprendre. Des collègues des programmes de santé mentale et de psychologie offrent du soutien aux équipes. La Fondation annonce un Fonds d’urgence.

Lorsqu’on a aménagé une unité temporaire dans le gymnase de physiothérapie, le Collège La Cité a fourni une grande partie du matériel : lits d’hôpitaux, équipements médicaux et toutes sortes de fournitures, qui pouvaient se faire rares au début de la pandémie. Si l’entraide était omniprésente entre les murs de l’hôpital et de la clinique COVID, elle l’était aussi de la part de notre communauté.

« Les gens faisaient des masques, des bandeaux, des bonnets pour le personnel », se souvient Marie-France. « On n’a jamais aussi bien mangé ! » ajoute Marc-André, faisant allusion aux repas que des restaurants – et même des gens de la communauté – offraient aux travailleurs de la santé. Un matin, on remarque que des roches peinturées sont apparues au pied de l’enseigne de l’hôpital, près du chemin Montréal.

En avril, on inaugure le Mur de l’espoir. Le corridor reliant l’entrée des employés à l’entrée principale devient une exposition de messages réconfortants – de collègues comme de gens du public – et surtout, de nombreux dessins d’arcs-en-ciel. Même les premiers répondants d’Ottawa sont venus nous applaudir.

Une vague d’espoir se fait sentir le 16 avril, alors que l’on annonce le port du masque pour l’ensemble du personnel, en tout temps ; nos stocks d’ÉPI sont stables et suffisants. C’est rassurant, on sent qu’il y aura un printemps… mais le pire est à venir.


La semaine prochaine : Chapitre IV – Première vague

Pour relire l’article précédent de la série : Chapitre II – Se préparer au pire

Martin Sauvé
Martin est directeur des communications, et fait partie de l'équipe Montfort depuis 2014. Quand il n'est pas en train d'écrire pour le Journal Montfort, il est surement en train d'arroser ses nombreuses plantes, ou d'explorer un quartier branché de la ville – ici ou ailleurs...