En guerre contre un ennemi invisible

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Plusieurs membres de l’équipe Montfort ont eu un passé militaire avant de se joindre à notre hôpital. Dans leurs mots, ils décrivent comment ce que nous vivons actuellement peut se comparer à une situation de guerre.

Dr Stéphane Roux, médecin-chef

Je crois effectivement que ma carrière et mon expérience militaires m’aident dans cette gestion de crise que l’on vit en ce moment. 

Comme en situation de guerre, nous voilà dans une crise avec une menace importante qui demande à ce qu’on s’adapte rapidement à une situation changeante continuellement. Il nous faut être à l’affût de l’évolution de la menace de façon quotidienne afin d’adapter nos stratégies de défense et d’attaque. 

Je vois ce virus comme la menace d’un ennemi invisible (virus) qui tente d’infiltrer notre campement (l’hôpital) et attaquer notre population (incluant patients et personnel de l’hôpital)

Dr Stéphane Roux, médecin-chef

Notre système de renseignement se compare bien à la recherche et aux développements scientifiques qui augmentent notre connaissance du virus. Plus on en apprend sur le virus (la menace), mieux on peut se préparer et adapter nos stratégies de défense. C’est exactement ce que l’on fait avec la santé publique depuis le début de la crise.

Dr Stéphane Roux lors d’une mission médicale avec les Forces armées canadiennes.

Les équipements de protection, nos processus en place à l’hôpital, la distanciation sociale sont nos stratégies pour vaincre cette menace.

 En situation de crise, l’importance du travail d’équipe est d’autant plus importante que le succès des uns dépend de la compétence et de l’effort des autres. À la guerre, chaque soldat doit sa survie et son intégrité à ses collègues et assume cette responsabilité envers eux également. 

La communication est souvent considérée comme le nerf de la guerre. Il est important en déploiement que tous soient continuellement au fait de la situation et comprennent les intentions du commandant en tout temps afin de bien se positionner dans l’échiquier des forces. Il y a des dangers réels à la guerre comme il y en a actuellement avec ce virus. Mon expérience m’a montré que le personnel est moins inquiet et plus performant quand il comprend la menace, car il s’y prépare mieux et ainsi, en est moins stressé et devient plus efficace. 

L’incertitude concernant la menace cause plus de soucis que la menace elle-même. 

Dr Stéphane Roux, médecin-chef

La menace terroriste en déploiement est réelle et varie régulièrement. Elle est affichée partout sur le campement en tout temps. Parfois, on doit porter notre équipement de guerre chimique ou biologique avec nous et/ou porter notre casque et notre arme. Ceci n’augmente pas l’anxiété, mais la préparation et le focus de tous augmentent la sécurité et la performance en lien avec la mission.

Le succès au jour J est le résultat de la préparation. Notre travail des derniers mois dans tous nos secteurs et par tout notre personnel est impressionnant et je sais que l’on saura répondre lorsque requis. La clef est d’apprendre à travailler ensemble dans d’autres conditions auxquelles on est habitués, avec des gens différents et des équipements différents. Nous avons le personnel qualifié et compétent et notre préparation doit se concentrer sur les synergies et nos processus et protocoles afin de maximiser nos forces en tant qu’équipe.   

J’ai appris avec le temps que toute situation n’est que temporaire et que le soleil finit toujours par se lever à nouveau. Les situations difficiles, les conditions de travail exécrables auxquelles on est parfois confrontés en mission finissent par s’estomper. Pour certains d’entre nous, les conditions de travail avec les équipements de protection individuelle sont difficiles, mais on s’ajuste lentement. 

Comme la crise que nous vivons en ce moment, le soleil va se lever à nouveau sur notre société et l’expérience que nous vivons tous ensemble en ce moment nous unira à jamais. 


Suzanne Heebner, agente en développement organisationnel

Suzanne Heebner s’était jointe aux Forces armées canadiennes dans le programme de formation des officiers de la force régulière.

Notre entraînement nous force à être prêts à agir en situation de crise. Plusieurs exercices de simulations sont faits pour assurer une bonne réponse lors de vraies situations.

Les nombreux déménagements et changements dans le travail facilitent beaucoup l’adaptation aux changements ce qui n’est pas négligeable en situation de crise.

Le plus important pour moi, c’était d’avoir confiance dans le leadership en place et de sentir que les décisions qui étaient prises étaient les bonnes dans le contexte du moment.


Lise Vaillancourt, directrice, LEAN corporatif et gestion de projets

C’est vrai qu’il y a des similarités entre des situations de guerre et la pandémie. Le centre de contrôle des mesures d’urgence de Montfort ressemble à une structure militaire d’un état-major.

Nous sommes tous mobilisés sur une même mission. Gestion de risque, longues heures, incertitude, tension dans l’air, on est branché sur les nouvelles…

Mais on est sûrs qu’on va y arriver. On a confiance en nos dirigeants aussi.

Lise Vaillancourt, à droite, alors qu’elle était commandant d’un centre chirurgical avancé (comme dans la série MASH !)

La crise est souvent une opportunité pour l’innovation. Par exemple, durant la Guerre du Golfe, on avait fait un contrat avec British Airways pour pouvoir envoyer des produits sanguins canadiens du Canada vers le Bahreïn via Londres, en utilisant de la glace sèche. On était rigoureux et nos décisions étaient basées sur la science. Le Canada a insisté pour utiliser ses propres produits sanguins et non ceux de l’Angleterre – et quelques mois plus tard, on découvrait la maladie de Creutzfeld-Jakob en Europe… Ça me fait penser aux études que nous faisons présentement pour voir si nous pouvons désinfecter et retraiter nos masques N95.

Dans les deux situations, certaines questions éthiques surviennent auxquelles on doit trouver une réponse rapidement, par exemple devrait-on donner un vaccin qui n’est pas encore approuvé au Canada (contre l’anthrax) à des soldats, les refus de travail, le triage des patients… il faut trouver l’équilibre entre les droits collectifs et les droits individuels.

Nous devons tout faire pour appuyer ceux qui sont en première ligne, par exemple pendant la guerre on remplissait des bouteilles de doxycycline en pleine nuit pour des soldats qui partaient pour le front, et maintenant on accomplit des tâches qui sont vraiment en dehors de notre rôle habituel.


Chantal Brisebois, pharmacienne

Durant la pandémie du H1N1 à l’automne 2009, je travaillais aux Opérations du Quartier général des Services de Santé des Forces armées canadiennes (FC) à Ottawa.

Chantal Brisebois

Nous avons coordonné l’achat et la distribution des vaccins contre le H1N1, produits en vitesse par l’industrie pharmaceutique, à tous nos militaires en mission à travers le monde y compris sur les navires. On travaillait de concert avec le Dépôt de matériel médical des FC, situé à Petawawa. Une autre section de notre organisation voyait à distribuer les vaccins aux bases militaires au Canada.

Ceci impliquait également le déploiement de personnel escorte avec les vaccins, afin de s’assurer que la chaîne de froid était respectée en tout temps lors des longs déplacements, surtout pour l’étranger. 

Ensuite est survenu le tremblement de terre en Haïti en janvier 2010 où il a fallu coordonner l’achat et l’envoi de matériel médical pour l’équipe du DART déployée en Haïti.

Disons qu’avec ce qu’on vit maintenant, j’ai l’habitude des mises à jour quotidiennes, des directives à respecter et du sens du travail d’équipe pour accomplir le travail attendu.


Dr Daniel Moreau, obstétricien-gynécologue

Pendant la Guerre du Golfe, j’étais en Allemagne; il y avait des barricades pour accéder à la base, il fallait montrer patte blanche – comme on fait maintenant à l’entrée de l’hôpital!

En temps de crise, ça prend un centre de commandement, de la discipline, de la hiérarchie. Et le sens du devoir.

L’entrainement militaire inclut notamment des préparations à des situations nucléaires, biologiques.

On est donc préparés à ce que l’ennemi soit une maladie.

Dr Daniel Moreau

Des chirurgiens de l’armée étaient déployés, moi je suis resté parce que les femmes continuent d’accoucher – comme maintenant! Il faut assurer la continuité des services. Il faut gérer les ressources en fonction des besoins. On ne peut pas prendre toutes les ressources pour les mettre ailleurs, ça causerait juste un autre problème.

Dr Daniel Moreau, en bas au centre.