Faire le deuil de son animal de compagnie, et d’avoir pris la décision de le laisser partir

J’ai rencontré Moe pour la première fois il y a tout juste 7 ans. C’était notre deuxième date, Nicolas et moi ; il me recevait à souper. Avec l’invitation venait un bémol, comme si l’offre de se revoir était accompagnée d’une mise en garde : « Tu vas rencontrer mon chien, mais je t’avertis, il est un peu intense. » La table était mise, dans les deux sens de l’expression.

Vous connaissez Taz, le diable de Tasmanie ? La petite tornade attachante des Looney Tunes, qui tourne sur lui-même pour aller partout, qui communique par des sons douteux, et dont l’appétit semble sans limites… je dramatise à peine, la petite bête qui m’a accueilli avant même que je franchisse la porte, on aurait juré que c’était ça.

Rassurez-vous, Moe n’avait pas grand-chose de diabolique. C’était un petit (gros) pug, soi-disant mélangé avec on-n’a-jamais-su-quoi. Bien que sa génétique n’ait pas été pure, son cœur l’était assurément, et que d’amour il avait à donner. Bon, il avait des drôles de façons de l’exprimer, mais c’était de l’amour… quoi d’autre ?

Nul besoin de vous dire que je n’étais pas que tombé sous le charme du maître de la maison, mais de son humain aussi. Il ne fallut que de quelques instants pour que l’on s’adopte, formant une famille nouveau genre avec-un-chien-mais-sans-enfants, comme de bons millénariaux.

S’en est suivi d’innombrables (petites) marches dans le quartier, des milliers de lancers de la balle en échange de carottes (la gâterie préférée de Moe), des heures de ronflements blotties contre nos jambes. Un chien gâté, notre Moe ? Coupable, votre honneur ; mais comment lui refuser quoi que ce soit ?

J’ai souvent dit que Moe ne parlait pas, mais que c’était tout comme. Son registre d’expressions, et d’attitude à l’appui, nous a fait rire plus souvent qu’à notre tour. S’il avait pu voir ses souhaits exaucés par le génie de la lampe magique, Moe aurait probablement fait le vœu — après carottes à volonté et filet mignon sur demande — de pouvoir parler pour finalement exiger de tout ses mots ses désirs quotidiens.

Reste qu’on avait notre dialecte, avec notre petit béluga terrestre ; notre langage codé d’intonations et de soupirs presque désobligeants d’impatience. En plus, son regard, encadré de sourcils aussi expressifs que sa personnalité, se chargeait de l’étape finale de persuasion si on avait l’audace de ne pas obliger dès le premier son.

De l’amour, je vous dis !

On ne peut lui en vouloir, quand même. C’est exigeant, le vedettariat. Parce que oui, Moe était une star, avec un fan club bien garni et très actif, composé de ses gardiennes, de sa fidèle toiletteuse, de son équipe vétérinaire, et de la plupart de nos amis…

C’était tout un numéro, notre Moe, mais oh combien attachant !

Éventuellement, le temps fait son œuvre. Notre boule de poil toute plissée s’est mise à rider encore plus, à blanchir petit à petit, à boiter en se levant… puis en montant les escaliers, et en les descendant, jusqu’à faire le grand écart parce que ses pattes voulaient prendre leur retraite avant lui. Du haut de ses 14 ans-presque-et-demi, il refusait de vieillir, notre vieux pug… mais son petit corps faisait à sa tête.

La pente était descendante, depuis quelques années, et encore plus depuis quelques mois. La petite tornade inépuisable que j’ai connue ne tournait plus sur elle-même. Certains jours, même sa queue en brioche ne tenait plus sa forme, optant pour la version Bourriquet, pendante et déprimée.

Les portes se mélangeaient,
les habitudes se perdaient,
les facultés s’effaçaient.

On a souvent parlé de ce qu’on ferait ou pas s’il arrivait un bête accident à notre patate sur quatre pattes. Une petite chirurgie, oui, un scan spécialisé, peut-être pas. Cette fois-ci, oui, la prochaine, on verra. C’est facile de se faire des scénarios hypothétiques, mais la réalité surprend malgré tout.

Surtout, après la surprise, on s’habitue… on s’habitue à la lenteur, on s’habitue aux petits accidents de maladresse, on s’habitue à voir faiblir l’étincelle dans les yeux… et on prend soin, de plus en plus.

Voilà déjà quelques mois que l’on anticipait la fin, donnant généreusement à l’évitement volontaire. C’est ce que redoutent tous les humains qui ont un enfant à poil, d’avoir à choisir de le laisser partir. Reste que la question s’est avérée inévitable.

Moe aura eu un dernier mois de célébration. Le décompte était enclenché. Après le vertige de la décision, j’anticipais un deuil précipité, des dernières semaines moroses. Fidèle à lui-même, il nous aura épatés jusqu’à la fin, notre Moe.

Le sentiment libérateur qui nous habite, depuis quelque temps, est à la fois étonnant et rassurant. Moe a le regard fatigué, de plus en plus, mais ses yeux semblent garder tout l’espace qui reste dans leurs prunelles pour laisser miroiter qu’on a bien pris soin de lui, jusqu’à lui permettre de se reposer à tout jamais.

C’est une amputation des plus déchirantes, mais c’était la bonne chose à faire.

C’est un luxe que nos compagnons animaliers ont depuis plus longtemps que nous, de pouvoir recevoir la mort dignement, avec une date au calendrier qu’on aura pris le temps de choisir pour bien vivre la fin. Comme on aurait souhaité pouvoir en offrir autant à des proches qui n’ont pas eu la même chance. Aussi difficile soit-elle, cette conclusion est empreinte de compassion, pour lui comme pour nous.

C’est d’arriver à accepter que ce soit ça, justement, de l’amour pour l’autre et pour soi, qui motive cette fin qui semblait jusque-là souvent précipitée, du moins, c’est comme ça qu’on la sentait.

Les dernières semaines auront été éprouvantes, remplies d’émotions occupant l’éventail du spectre de la joie aux pleurs. Alors que j’écris ces lignes, on profite des dernières heures avec notre Pogo canin.

Le plus émouvant reste à venir, je redoute encore le moment final. Une chose est certaine, malgré cela, c’est qu’on aura vécu la fin comme une vague d’amour, et que c’est de cette douceur, presque aussi douce que les oreilles de notre petit pug adoré, dont on se souviendra pour toujours.

Bonne nuit, bébé Moe. Je t’aime, je t’aime.

Quelques ressources

Martin est directeur des communications, et fait partie de l'équipe Montfort depuis 2014. Quand il n'est pas en train d'écrire pour le Journal Montfort, il est surement en train d'arroser ses nombreuses plantes, ou d'explorer un quartier branché de la ville – ici ou ailleurs...