Vous avez peut-être déjà croisé la Dre Céline Fresne. Elle est médecin spécialisée en hépatologie à l’hôpital depuis l’été dernier, mais ce n’est pas son premier passage à Montfort. Avant de pouvoir à nouveau pratiquer la médecine, Dre Fresne a œuvré en recherche à l’Institut du Savoir Montfort (ISM), à son arrivée au Canada. Nous l’avons rencontrée pour parler de ce retour aux sources – en médecine, et à Montfort.


« Mon premier travail au Canada, c’était un poste d’assistante de recherche à l’ISM, » dit Dre Fresne, qui arrivait alors de France après y avoir pratiqué la médecine pendant une décennie. « La première personne qui m’a embauchée ici c’était Marie-Andrée Imbeault, en février 2018. »

D’un premier poste est venu une opportunité d’intérim, puis un poste de coordonnatrice de recherche. « C’était une première porte qui m’en a ouvert d’autres, » raconte Dre Fresne. « C’est comme ça que j’ai commencé à travailler avec Dr (Denis) Prud’homme, que j’ai rencontré Dre (Manon) Denis-Leblanc et connu le bureau des affaires francophones (de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa). »

« J’ai postulé initialement en me disant si je ne pratiquais plus la médecine, je pourrais au moins utiliser les connaissances que j’avais. Montfort, c’était une opportunité de contribuer au développement de la recherche, mais aussi une occasion de travailler en français ! »

Vous l’aurez deviné, bien que Dre Fresne soit médecin à Montfort aujourd’hui, l’avenir n’était pas si clair lorsqu’elle a traversé l’Atlantique, il y a quelques années.

Repartir à zéro

« Quand on est médecin formé à l’étranger, c’est compliqué d’avoir une licence de pratique au Canada, » explique Dre Fresne, qui a fait ses études de médecine à Paris. « Le diplôme est reconnu pour ceux qui ont fait leurs études aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais pour tout le reste du monde ce ne l’est pas, » ajoute-t-elle, « sauf si on a déjà un poste universitaire dans son pays d’origine. »

Certes, le parcours des études en médecine en France est différent du nôtre, au Canada. « On rentre à la faculté de médecine juste après le lycée, » explique Dre Fresne, soulignant toutefois que si le parcours est différent, il n’est pas pour autant moins rigoureux. « On a six ans de tronc commun et après on choisit une spécialité. » C’est en hépato-gastro-entérologie que Dre Fresne s’est alors spécialisée, en y ajoutant une formation complémentaire en cancérologie. « En France, je m’occupais des patients qui avaient globalement n’importe quel problème digestif, et qui avaient des cancers digestifs. » 

« Si je n’avais pas rencontré Dr Prud’homme, je ne serais pas ici aujourd’hui.
Il sait faire ressortir le meilleur des gens. »

Cette expérience ne lui servait toutefois pas ici. Elle a donc dû se tailler une place en amorçant une foule de démarches. « J’ai fait les choses à rebours, en fait. J’ai commencé à enseigner à l’université grâce à Dr Prud’homme et Dre Denis-Leblanc, » raconte-t-elle, mentionnant aussi le besoin d’enseignants francophones. « Ça m’a permis d’avoir un poste universitaire. »

« On a ensuite eu une discussion avec le médecin-chef de l’époque, Dr (Guy) Moreau, pour voir quels étaient les besoins à Montfort, notamment dans ma spécialité, et s’il y avait une place pour moi. » C’est en hépatologie, la spécialité qui prend en charge les maladies du foie, que les besoins étaient les plus grands.

Un parcours du combattant

Si Dre Fresne s’estime chanceuse, ce n’est pas parce que le parcours a été simple, au contraire. Pour qu’un médecin formé à l’étranger puisse obtenir un permis de pratique ici, il y a essentiellement deux avenues : faire reconnaitre ses acquis, ou refaire sa résidence en médecine.

Pour plusieurs, comme pour Dre Fresne, ce n’était pas une option : « Je l’avais déjà fait ma résidence, dans mon pays. J’ai pratiqué pendant 10 ans, » rappelle-t-elle. « Qu’on évalue mes compétences, ce que je sais faire, c’est tout à fait normal, mais d’être obligée de refaire tout… »

« J’ai eu la chance de tomber sur les bonnes personnes,
et qu’il y ait un besoin dans ce que je savais faire. »

Occupant alors un poste universitaire au Canada, elle a pu se lancer dans le processus de reconnaissance des acquis auprès du Collègue des médecins et chirurgiens de l’Ontario, communément appelé par son acronyme en anglais, CPSO, pour College of Physicians and Surgeons of Ontario.

« J’ai commencé à enseigner en septembre 2018, et ça a pris environ une année ensuite pour avoir les discussions avant d’entreprendre les démarches avec CPSO, vers la fin de 2019 » explique Dre Fresne. « Ça m’a permis d’aller voir CPSO en disant “Regardez, l’université m’a embauchée, et il y a un hôpital qui a besoin de moi.”, et après c’est toute une validation administrative qui commence. »

« En enseignant la gastroentérologie aux étudiants en médecine,
je me suis rendu compte que pratiquer la médecine me manquait. »

« Ça a pris du temps. On ne voulait pas juste mon diplôme, on a refait tout mon historique, » raconte-t-elle. « On a regardé toutes mes études à l’université. On m’a demandé mes notes de première année de médecine qui dataient de 1994. »

« J’ai fourni une première série de documents, puis il s’est passé quelques mois avant qu’on me revienne et qu’on m’en demande d’autres, » dit-elle. « Et entre tout ça les documents doivent être validés par des comités qui ne se réunissent pas nécessairement souvent. » S’ajoute à cela la pandémie de COVID-19, arrivée alors que Dre Fresne était en plein processus. « Avec les fermetures et tout ça, faire sortir des archives papier, c’était compliqué, » ajoute-t-elle en riant.

« Entre-temps, ma nomination universitaire devait commencer en 2021, mais le temps de faire tout ça on était rendu en 2022. J’ai donc refait le circuit à l’université pour faire signer tous les papiers à nouveau pour dire que c’était toujours bon, » raconte Dre Fresne. « J’ai fini par avoir la désignation du CPSO le 30 juin, l’été dernier. »

Entre l’arrivée de Dre Fresne au Canada et l’obtention de son permis de pratique, il s’est passé presque 5 ans.

Améliorer le processus

Alors que l’on parle de plus en plus de besoins en main-d’œuvre, l’accueil et l’intégration des professionnels de la santé formés à l’étranger est plus que jamais d’actualité, et figure parmi les pistes de solution aux défis en matière de ressources humaines. La lourdeur des processus vient toutefois mettre un frein à la motivation de plusieurs, comme l’illustre Dre Fresne.

« Je m’estime chanceuse de pouvoir être là et faire mon métier, alors que je sais que plusieurs médecins formés à l’étranger se retrouvent à faire quelque chose de complètement différent » explique-t-elle. « Je pense que les plus attachés à la santé repartent sur des formations de profession de la santé comme infirmières, infirmières praticiennes, etc., mais sans avoir la reconnaissance de leur expérience, même quand on a pratiqué longtemps. »

« C’est un peu blessant… d’un côté on nous dit qu’on a besoin de nous,
et de l’autre on doit soit tout reprendre, ou se réorienter. »

Dre Fresne donne en exemple plusieurs collègues qui ont vécu des situations semblables, reprenant des parcours souvent différents de la médecine, et à partir du premier échelon. « Dans une équipe ça prend tout le monde, mais c’est pas le métier que tu avais choisi, c’est pas le métier que tu as exercé » dit-elle. « C’est dur, je trouve. Je comprends qu’on doive être évalué quand on change de pays, de voir quelles sont nos connaissances et comment on fait, mais de nous mettre une barrière comme ça en disant “Non, ce sera pas possible.”, mais pourquoi ? »

« J’ai eu mes enfants pendant mes années de résidence. On m’a dit que
ça compliquait les choses, que je n’aurais pas dû. »

Si on avait une baguette magique, qu’est-ce qu’on doit changer pour améliorer le processus ?

« C’est dans la manière de reconnaitre les diplômes, » dit Dre Fresne, avec assurance. « J’ai mon diplôme de France, qui dit que j’ai fait tout ce qu’il faut pour être nommée médecin, et il y a mon CV après qui montre où j’ai pratiqué. Pourquoi mes notes de première année de médecine qui datent de 10 ans avant c’est pertinent pour savoir si je suis un bon médecin ? »

« Il n’y a rien dans le processus qui prépare, par exemple, aux différents noms des médicaments. Ce n’est que de l’administratif, et pas porté sur toi en tant que médecin, sur tes compétences. »

« On a besoin de gens, mais le processus est laborieux. C’est un peu paradoxal.
On devrait tout faire pour faciliter les choses. »

« Il y a plusieurs éléments comme ça qui sont des irritants, sachant que derrière, il y a des systèmes de contrôle avant de nous permettre de pratiquer, » explique-t-elle. « Je dois avoir une supervision pour les six premiers mois, il y a des rapports réguliers à faire et un contrôle à la fin avec CPSO, ce que je trouve tout à fait normal, mais est-ce qu’au final, ce n’est pas ça qui devrait avoir plus de poids que, disons, des notes de première année ? »

D’ailleurs, la période de supervision est pertinente et utile, indique Dre Fresne. « C’est très bien parce qu’il y a une adaptation nécessaire, » poursuit-elle. « Poser un diagnostic ça reste la même chose, mais par exemple, les médicaments, les examens, ne s’appellent pas toujours pareil ici et en France. Pendant cette période-là, quelqu’un est là pour répondre à mes questions. »

« C’est normal qu’on doive prouver qu’on sait faire, mais est-ce que
c’est normal que ça prenne des années à le prouver ? »

« J’ai eu un premier refus au début des démarches avec CPSO. On m’a dit que j’étais restée trop longtemps à la faculté de médecine, que les standards ne correspondaient pas, » explique-t-elle. « Chez moi, on devient “MD” quand on a fini sa résidence, alors qu’ici on le devient après avoir validé les quatre années de médecine. Alors forcément, on passe plus de temps à la faculté (en France). »

« C’est très fatigant émotionnellement, » renchérit Dre Fresne, acquiesçant qu’une remise en question est pratiquement inévitable. « Tu te dis qu’ils ne croient pas en toi. On devient conditionné à tout remettre en doute, on vient qu’on ne sait plus. »

« Il n’y a aucun problème à montrer qu’on est capable de faire ce qu’on est formé à faire,
mais pas au prix de patienter des années de rétention administrative. »

« J’ai même proposé à un moment que l’hôpital prenne quelqu’un d’autre si l’occasion se présentait, » ajoute-t-elle. « Encore une fois, je suis tombée sur les bonnes personnes aux bons moments ; Dre (Marlène) Mansour et Dr (Stéphane) Roux ont dit qu’on allait m’attendre. »

Mission accomplie

De retour à la pratique depuis quelques mois maintenant, Dre Fresne affirme que l’amertume s’estompe. « Oui, c’est mieux au fil du temps ! » lance-t-elle, mais il y a une période d’adaptation. « Je n’avais pas vu de patients depuis quelques années. Ça ne se perd pas, mais de se remettre dans le quotidien de la pratique c’est une période intense, » explique-t-elle, ajoutant qu’il faut se réadapter à côtoyer des gens qui ne vont pas bien. « On oublie ces côtés-là du métier, mais on est bien entourés ici. »

Avec l’addition de Dre Fresne au corps médical de l’hôpital s’ajoute un nouveau service : l’hépatologie, une première à Montfort. Bien que sa spécialité soit l’hépato-gastro-entérologie, Dre Fresne se concentre présentement sur les maladies du foie, pour répondre au besoin identifié au sein de notre communauté.

En plus, puisque le programme de résidence en médecine qu’a suivi Dre Fresne fait en sorte que les futurs médecins changent d’hôpital tous les six mois, elle arrive avec un bagage d’expérience varié. « La chance que j’ai c’est qu’à Paris où j’ai fait ma résidence, on a des services qui sont très spécialisés. Ça m’a permis d’être formée dans des services spécialisés en maladies inflammatoires intestinales, en maladies du foie, du pancréas. »

Si ce passage en milieux spécialisés lui a permis de voir des patients « avec des maladies pas forcément très communes dans la vie de tous les jours, » elle a ensuite pratiqué dans un hôpital général, touchant ainsi à « tout le spectre de la spécialité. » Avec la clinique d’hépatologie à Montfort, elle s’occupe de problèmes du foie reliés à l’alcool, de stéatohépatites, de cirrhoses, etc.

« C’est le genre de maladie qui ne fait pas mal, donc on ne s’en rend pas compte
avant de passer un test, ou lorsqu’il est trop tard. »

Dre Fresne explique qu’il n’y a « pas de traitement médicamenteux présentement, donc la prise en charge est au niveau du mode de vie. C’est un défi, parce que la plupart des gens ne sont pas nécessairement prêts à l’entendre. »

Justement, puisque la prise en charge peut s’avérer ardue, il est parfois difficile pour les médecins de famille d’accompagner ces patients. « Ils sont déjà débordés, et ça peut prendre beaucoup de temps, » dit Dre Fresne, qui espère offrir une option de plus à cette clientèle, avec la nouvelle clinique.

« Le défi c’est de convaincre de changer de mode de vie maintenant, de vivre le plus sainement possible, » dit-elle, s’adressant un peu à tout le monde. « Le seul traitement curatif de la cirrhose c’est la transplantation, et malheureusement, on risque d’en voir de plus en plus. Alors mieux vaut prévenir…»

Pour la suite ? Dre Fresne abonde en reconnaissance, et elle continue d’avoir de l’ambition plein la tête. « Je réfléchis déjà à des initiatives que j’aimerais mettre en place pour aider davantage ces patients, » dit-elle, ajoutant aussi vouloir devenir à son tour superviseure pour les futurs médecins.


Vous avez aimé cet article ? Lisez aussi Professionnels formés à l’étranger : la complicité de June et Alina, paru en décembre 2022.

Martin est directeur des communications, et fait partie de l'équipe Montfort depuis 2014. Quand il n'est pas en train d'écrire pour le Journal Montfort, il est surement en train d'arroser ses nombreuses plantes, ou d'explorer un quartier branché de la ville – ici ou ailleurs...