Il y a cinq ans, la COVID-19 s’invitait de force dans notre quotidien. Quelques semaines plus tôt, on était restés sans mots devant des images en provenance de Chine, épicentre de la pandémie, où un hôpital a été érigé en 10 jours — mais la Chine, c’est loin, se disait-on.

Quand l’Italie s’est mise à manquer de lits pour soigner ses patients, et quand New York a dû recourir à des camions réfrigérés par dizaines face au nombre de décès, ce nouveau virus nous a soudainement semblé beaucoup plus proche.

En quelques semaines, Montfort s’est préparé, s’est transformé, pour être prêt à affronter le pire.

« Ça va bien aller » se disait-on. Ces mots sont rapidement devenus un slogan assorti d’arcs-en-ciel, auquel on s’accrochait collectivement pour garder espoir qu’il y aurait un printemps.

Cinq ans plus tard, plusieurs diront que les années de pandémie ont été les plus difficiles de leur carrière, de leur vie. Je les ai entendus, ces mots-là, en écoutant une douzaine de personnes me raconter leurs souvenirs de cette époque inédite.

Je les ai entendus, et je m’y attendais. Ce à quoi je m’attendais moins, c’est que ces mots étaient systématiquement suivis d’entraide, presque toujours de fierté, et souvent de noms de collègues qu’on ne pourrait passer sous silence tellement ils ont joué un rôle crucial dans cette histoire.

Entraide. C’est le mot — la valeur — que les collègues nomment sans exception dans leurs témoignages. Malgré les moments difficiles, malgré l’anxiété, la peur de l’inconnu, la peur du virus… l’entraide est demeurée au rendez-vous. Ça fait partie des souvenirs, ça fait partie des sources de fierté. C’est ce qui nous a permis de passer au travers.

On a indéniablement un devoir de mémoire quant à ces moments qu’on a vécu ensemble, mais à la fois un peu séparément. Cet article, c’est le premier d’une série qui raconte la pandémie à travers les mots de gens de Montfort qui l’ont vécu aux premières lignes.


Le 13 mars 2020, c’est le jour où tout s’est mis à changer, rapidement. C’était un vendredi ; pas que je sois superstitieux, mais je m’en suis toujours souvenu. Je ne pouvais manquer l’occasion de faire coïncider la publication de cet article avec la date exacte, cinq ans plus tard… mais l’histoire débute un peu avant.

Chapitre I

Nouveau coronavirus

Début janvier, on apprend qu’un nouveau virus est découvert en Chine, et quelques jours plus tard, que c’est la cause d’un premier décès.

« Nouveau coronavirus 2019-nCoV. » C’est ainsi que l’Organisation mondiale de la santé nomme à l’époque ce qui allait devenir le « coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2) » et la « maladie à coronavirus », que l’on appelle communément depuis « COVID-19 ».

« J’ai souvenir d’une réunion du Comité de gestion des opérations, quelque temps avant le début de la pandémie. » Marc-André Sabourin est alors gestionnaire des cliniques ambulatoires. C’est le premier souvenir du début de la pandémie qu’il mentionne, pendant notre entrevue. « Josée Shymanski (qui était gestionnaire en prévention des infections) nous disait :

“Ça s’en vient, ça va arriver, on ne sait juste pas quand.” J’entends encore sa voix trembler. »

On comprendra bien assez vite que Josée voyait juste. Le 29 janvier, on envoie un premier courriel à toute l’Équipe Montfort. « On surveille activement la situation », peut-on lire dans ce message. « Nous sommes prêts à intervenir si un patient se présente avec des symptômes du coronavirus. » On parle d’ajustement de masque N95, d’équipement de protection individuel — les fameux ÉPI, on y reviendra — et des précautions à prendre pour soigner un patient. Ce genre de directives allait bientôt devenir un sujet quotidien.

Le lendemain, l’OMS déclare « l’état d’urgence de santé publique internationale ». En février, on apprend que le virus se propage plus vite à travers le monde qu’en Chine. La crainte s’installe.

Rapidement, des affiches font leur apparition aux entrées de l’hôpital, aux points d’inscription, dans les salles d’attente. On informe les patients et visiteurs des symptômes du coronavirus à surveiller. D’un jour à l’autre, il s’en ajoute à la liste. Parfois, il s’en retire. Il devient souvent plus efficace d’inscrire les nouveautés au marqueur directement sur les affiches.

À Montfort, on active un groupe de travail sur les menaces de maladies transmissibles. « Mise à jour au sujet du coronavirus COVID-19. » C’est ainsi que se nomme la page créée alors au Portail Montfort pour informer nos équipes sur le sujet. C’est rapidement devenu une source quotidienne d’information ; la page cumulera éventuellement près de 300 000 vues.

À quelques jours de la relâche printanière, début mars, les choses s’intensifient. On émet des directives pour les membres du personnel qui reviennent de voyage : quarantaine obligatoire à la maison pendant 14 jours dans certains cas, surveillez vos symptômes dans d’autres. On apprend rapidement à déceler les signes de la maladie.

Le 11 mars, l’OMS déclare une pandémie mondiale. Le même jour, un premier cas est confirmé à Ottawa.

Le jour suivant, l’Ontario annonce la fermeture imminente des écoles pour deux semaines suivant le congé de mars. La Ligue nationale de hockey suspend sa saison régulière ; pour qu’on annule le hockey au Canada, c’est que l’heure est grave.

La population se dépêche de faire des réserves dans les magasins. On s’empare des stocks de papier de toilette, entre autres. Après la crainte vient la peur, l’instinct de survie face à l’incertitude. À Montfort, on met en place une cellule de crise : le Centre de commande des mesures d’urgence.

Le Centre de commande des mesures d’urgence, le 12 mars. C’était avant que la distanciation sociale s’impose — deux mètres ! — et que les masques deviennent pratique obligatoire. Quelques jours plus tard, la war room déménagera dans des locaux plus grands. Ces rencontres auront éventuellement lieu en virtuel, comme bien des choses.

Parmi les premières directives : on restreint l’accès au secteur de l’Urgence. On veut minimiser les risques, ne pas exposer les gens inutilement. C’est la première annonce du genre ; dès le lendemain, c’est toute une enfilade de directives qui s’amorcera.

Vendredi treize

La superstition du vendredi treize prend parfois racine dans la mythologie, la religion, ou la coïncidence d’événements historiques avec cette date. C’était avant qu’une génération entière y voue un sens bien particulier. En 2020, le vendredi 13 mars voit les États-Unis et le Québec déclarer l’état d’urgence. L’Ontario fera de même quelques jours plus tard. À Ottawa, c’est le jour où la première clinique de dépistage de la COVID-19 ouvre ses portes, à l’aréna Brewer.

À Montfort, les mesures déferlent rapidement. « C’est à partir de ce jour-là que tout a déboulé », se souvient Dre Chantal D’Aoust-Bernard. « Dire que ça fait déjà cinq ans… »

Après avoir restreint les accès à l’Urgence la veille, c’est maintenant tout le périmètre de l’hôpital qui est contrôlé. On désigne des entrées, des sorties, et on limite le nombre de visiteurs permis auprès des patients. On limite, reporte ou annule des rencontres et on suspend les voyages d’affaires. La question du télétravail fait son apparition, mais ce n’est pas encore dans les plans : pour faire face à ce qui s’en vient, c’est all hands on deck.

« J’avais l’impression qu’on partait en guerre. »

Marie Parish était alors gestionnaire de l’Urgence. « Je m’en souviens, du fameux 13 mars », lance-t-elle d’emblée. « J’étais 7 mois et demi enceinte » ajoute-t-elle, avec un rire un peu jaune. « Cet après-midi-là, on a reçu un appel du dispatch nous annonçant qu’on allait recevoir six patients COVID. » En quelques minutes, l’équipe installe des diviseurs pour séparer des chambres à pression négative en deux. « On allait au moins pouvoir jumeler les six patients dans nos trois chambres. »

Des décisions comme celles-là, il s’en prendra des centaines dans les heures et les jours qui suivront. On a souvent dit que l’on construisait l’avion en plein vol ; l’image est assez juste. Face à l’inconnu, avec des informations imparfaites, il fallait gérer d’une nouvelle façon.

« On n’a jamais reçu les six patients en question, mais d’autres sont arrivés », poursuit Marie. « On avait soudainement besoin de plus d’espace que prévu. On a décidé d’ouvrir le garage. » En quelques instants, l’équipe déplace des civières de partout dans l’hôpital, crée des aires divisées, transforme l’espace. « On a ouvert les portes du garage, c’était comme être dehors, ça réglait la question de la ventilation ; heureusement qu’il ne faisait pas trop froid, ce printemps-là. »

Utilisé dès le 11 mars comme espace d’attente à l’écart des autres patients pour les gens qui devaient passer un test de dépistage de la COVID-19, le garage des ambulances sera réaménagé le 13 mars, puis optimisé dans les jours suivants. On y ajoutera davantage d’équipement, on améliorera l’aménagement des espaces, on peaufinera la fluidité des processus. Le garage servira de « zone COVID » à l’Urgence jusqu’en juillet 2022, soit pendant deux ans et quatre mois.

Plus tard ce jour-là, on confirmera l’instinct qu’ont eu Marie et son équipe. « Quand Dr Roux (médecin-chef à l’époque) est passé nous voir à l’Urgence, j’ai rarement été aussi contente de voir quelqu’un. Il a confirmé qu’on avait eu une bonne idée, que nos réflexes étaient les bons. »

Ce soir-là, des collègues sont rentrés prêter main-forte à ceux qui prolongeaient déjà leur quart de jour. « On a commandé de la pizza pour tout le monde, je pense qu’on en a même donné à des patients. » C’était annonciateur des temps à venir : des équipes qui s’entraident, et des repas matin-midi-soir, signe de la solidarité de la communauté.

Pendant que les rues se vident et qu’on tente collectivement d’aplatir la courbe, à Montfort les équipes continuent de s’activer. Au cours des prochains jours, on met en pause plusieurs activités cliniques, on transforme une panoplie d’espaces et on planifie l’ouverture d’un centre d’évaluation en communauté. On redéploie des gens dans les secteurs les plus critiques et on s’efforce de s’approvisionner en matériel et en équipement. On se prépare au pire.


La semaine prochaine : Chapitre II — Se préparer au pire

Martin Sauvé
Martin est directeur des communications, et fait partie de l'équipe Montfort depuis 2014. Quand il n'est pas en train d'écrire pour le Journal Montfort, il est surement en train d'arroser ses nombreuses plantes, ou d'explorer un quartier branché de la ville – ici ou ailleurs...