Adeline Jérôme venait de commencer dans son rôle de patiente-partenaire à Montfort lorsqu’elle a reçu un diagnostic, il y a un peu plus d’un an. Un diagnostic qui a expliqué beaucoup de choses.
Née en France, Adeline est venue s’installer au Canada avec son mari en 2002. Ils ont vécu au Québec, puis en banlieue de Toronto, et se sont installés à Ottawa depuis cinq ans. Il y a quelques années, alors qu’elle est professeure de français pour des fonctionnaires fédéraux, elle s’est retrouvée en burnout, incapable de travailler.
Adeline avait toujours eu de la difficulté dans les relations sociales en groupe. De manière inconsciente, elle avait trouvé des façons de se fondre dans la masse. Quand elle était petite, jouer avec les autres enfants ne lui venait pas naturellement, mais elle avait appris à les imiter. Une fois adulte, elle n’avait aucun intérêt à faire du small talk dans une soirée. Quand il y avait beaucoup de lumière ou de bruits autour d’elle, elle se sentait drainée.
Dans le cadre de son évaluation médicale, « un des examens proposés par mon médecin était une évaluation psychiatrique, » raconte-t-elle. La psychiatre confirme alors officieusement l’auto-diagnostic qu’Adeline avait fait depuis quelques années : elle est probablement autiste.
Le sentiment d’épuisement et d’incapacité qu’elle vivait était un « burnout autistique, » causé par les efforts qu’elle mettait continuellement à s’adapter aux attentes sociales et à camoufler sa différence. « On a tellement auto-régulé que le corps craque, » explique-t-elle.
Adeline n’a pas fait de démarches pour avoir un de diagnostic officiel, « puisque c’est long, ça coute cher, ce n’est pas couvert par l’assurance maladie, et ça ne me donnerait aucun support puisque je n’ai pas de difficulté d’apprentissage. »
Toutefois, dès qu’elle reçoit cette confirmation officieuse, Adeline commence à chercher sur Internet pour se renseigner sur sa condition, et à lire tout ce qui lui tombe sous la main.
Selon le Canadian Medical Association Journal, 1 à 2 % de la population canadienne se retrouve sur le spectre de l’autisme, ce qui représente environ 135 000 personnes en Ontario. À mesure que l’on connait mieux cette condition, le nombre de personnes qui obtiennent un diagnostic, même à l’âge adulte comme Adeline, va évidemment continuer d’augmenter.
« Je discute avec beaucoup d’autistes de différents pays. Dans leurs témoignages, je me reconnais. « Ah bien oui, moi aussi… ». Les gens qui ont un diagnostic très tardif, comme moi, on a toujours été vu comme bizarre, étrange, décalé… On a souvent une très mauvaise estime de soi, et de pouvoir valider nos expériences avec d’autres personnes… Finalement, je me rends compte ne suis pas si bizarre que ça. Je suis comme ça… « parce que », » a-t-elle réalisé.
Quand elle lit ou qu’elle étudie en ligne, Adeline peut oublier de boire et de manger, tellement elle est immergée dans le sujet. Cet hyperfocus, une autre caractéristique commune chez de nombreux autistes, lui permet de se concentrer, « mais ça a un prix, » affirme-t-elle. Décrire l’hyperconcentration comme étant un super pouvoir, à la façon de la jeune militante environnementaliste Greta Thunberg, met de côté la réalité de beaucoup de gens.
En même temps, Adeline réalise que chaque personne autiste a sa propre réalité. « Quand tu as rencontré une personne autiste, tu as rencontré une personne autiste, » aime-t-elle rappeler aux gens.
« Nous sommes tous différents. Nous partageons des traits communs, et en plus l’autisme s’exprime de manière totalement différente selon notre culture, notre pays, notre genre. »
Adeline a aussi un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention (TDAH), ce qui est le cas de 80% des autistes. « Il y a énormément d’autistes qui ont des comorbidités, et qui ont vécu des années de négligence, d’anxiété. » En contrepartie, Adeline mentionne que beaucoup d’autistes sont créatifs, mentionnant au passage Albert Einstein et Bill Gates.
Pour mieux comprendre comment une personne autiste ressent son environnement, Adeline suggère de visionner ces deux courtes vidéos (en anglais) :
Ses outils pour gérer l’autisme
Armée de la confirmation officieuse de son diagnostic, Adeline commence à trouver des moyens de mieux gérer son cerveau différent. Par exemple, se rappelant combien elle aimait ce mouvement étant enfant, elle a acheté une chaise berçante, ce qui lui permet une autostimulation au niveau physique qui lui fait du bien. Ses balles anti-stress l’aident à se concentrer.
Comme elle est hyper-sensible au bruit, elle a acheté des écouteurs qui diminuent les sons ambiants. « La première fois que j’ai été faire l’épicerie avec mes écouteurs, c’était merveilleux! » Elle se rappelle son plaisir à pouvoir entendre son mari lui parler, sans être envahie par tous les autres bruits de fonds.
Elle a également recommencé à donner des cours de français en ligne. « Je travaille six heures par semaine; physiquement et cognitivement, je ne peux plus faire plus depuis mon burnout. »
Tranquillement, Adeline commence à expliquer sa condition à des individus ou à de petits groupes, notamment au sein du comité d’accessibilité de Montfort, dont elle est membre à titre de représentante des patients-partenaires. Elle prend de plus en plus confiance à donner sa perspective « neuro-atypique ».
Avec cet article, c’est la première fois qu’Adeline parle publiquement du fait qu’elle est autiste.
« Je le fais parce que je sais que ça va aider d’autres personnes, mais c’est quelque chose d’extrêmement stressant, étant donné les risques associés à cette déclaration. »
Adeline Jérôme
En effet, le grand public en général connait encore mal l’autisme, en particulier chez les personnes adultes, et il y a malheureusement de la stigmatisation envers les personnes autistes.
Pourquoi devenir patiente-partenaire à Montfort?
Étant francophone, Adeline a toujours choisi de venir à Montfort, surtout après avoir vécu pendant des années dans une banlieue de Toronto où il n’y avait que des anglophones. En arrivant à Ottawa, elle était ravie de pouvoir y vivre en français.
« Lors d’une hospitalisation, j’ai vu une affiche de recrutement de patients-partenaires, je me suis dit que comme immigrante, j’avais un point de vue à apporter. À l’époque je ne savais pas que j’étais autiste. Les points de vue des patients-partenaires sont pris en compte. En étant francophones, nous sommes une minorité (dans la région); je me dis que c’est ma façon de rendre à la communauté. »
Adeline collabore également à développer des mises en situation avec l’Institut du Savoir Montfort (ISM), avec sa perspective unique.
Dans le milieu de la santé, comment pouvons-nous mieux interagir avec les personnes autistes?
Adeline se souvient de son appréhension lors d’une visite à l’Urgence. « Je souffre d’anxiété chronique et j’ai appris que c’est lié à l’autisme : on est constamment sur le qui-vive. Avec le bruit, les odeurs, la lumière, la présence de policiers qui accompagnaient un patient… je n’en menais pas large! » Elle se souvient de son impatience à se faire poser les mêmes questions à chaque interaction avec un nouvel intervenant, car chaque interaction augmente son anxiété. On lui a demandé cinq fois sa liste de médicaments.
« Je suis capable de me maitriser, mais chez quelqu’un d’autre, ça pourrait provoquer des meltdown – dans mon cas, c’est plutôt l’inverse : pour moi ça cause un shutdown. »
Un élément qui peut compliquer le travail des professionnels de la santé, c’est que certains autistes peuvent être hyposensibles, ou hypersensibles à la douleur. Dans ces cas-là, l’échelle de la douleur ne fonctionne pas. « J’ai fait une chute et quand la médecin a voulu m’ausculter, elle a lu ma réaction non-verbale et m’a envoyée faire un rayon X. Pourtant, je ne sentais pas la douleur, » se souvient Adeline.
Elle se souvient aussi d’une situation où les instructions qu’on lui a données pour faire un test médical n’était pas claires. « Une personne autiste va suivre à la lettre ce que vous lui dites, » explique Adeline. Si quelque chose ne fonctionne pas, il ne faut pas s’impatienter, mais plutôt reformuler la procédure pour expliquer différemment à la personne autiste ce qui doit être fait.
En parallèle, Adeline donne l’exemple d’une situation où elle été en mesure d’organiser ses soins de santé d’une manière qui convient à ses besoins.
« Il y a quelques semaines, je devais aller dans un nouveau cabinet de dentiste. On a beaucoup communiqué par courriel avant le premier rendez-vous. Je ne voulais pas suivre la procédure habituelle, c’est-à-dire un premier rendez-vous de 90 minutes avec un examen, des rayons X, etc. Nous avons plutôt convenu d’organiser plusieurs petits rendez-vous de suite. À la fin de la première visite, la dentiste m’a demandé : est-ce que vous avez des questions pour moi? »
Si elle avait une baguette magique…
Adeline aimerait pouvoir tamiser la lumière dans les salles d’attentes et les salles d’examen. « J’ai des lunettes teintées, sinon la lumière peut être aveuglante. » Elle aimerait aussi que l’on puisse isoler un peu la personne autiste, et diminuer le niveau de bruit autour d’elle.
Quelques conseils d’Adeline pour les membres du personnel si une personne s’identifie à vous comme étant autiste
- Abordez la personne avec l’esprit ouvert, oubliez ce que vous avez appris, lu, entendu de sources non autistes. Demandez à la personne ce qui peut être fait pour l’aider le mieux au moment précis de la rencontre (et gardez en tête que cela peut changer selon le contexte).
- Surtout, ne supposez pas que cette personne est incapable de prendre des décisions pour et par elle-même.
- Dans la mesure du possible, ne faites pas attendre la personne dans une salle bruyante et pleine de gens; donnez une lui une idée de la durée de l’attente, même si c’est approximatif.
- Dites ce que vous voulez dire; parlez de manière claire et concise.
- Le traitement de l’information peut prendre du temps. Donnez à la personne le temps de répondre, cela peut prendre seulement une dizaine de secondes de plus, en particulier dans un environnement stressant comme un hôpital.
- Demandez à la personne si elle veut un résumé ou un rapport écrit, car la mémoire à court terme peut être déficiente (c’est mon cas).
- Donnez des choix clairs. Évitez de poser des questions ouvertes, car devoir faire un choix peut être très difficile.
- Ne vous offensez par si la personne parle de manière directe, fait peu de contact visuel, a des tics moteurs, ou encore fait preuve d’un manque de compréhension des limites personnelles ou de non-respect des conventions sociales. Ce sont des défis courants pour une personne autiste.
- Terminez en demandant si la personne a des questions pour vous.
Autres ressources recommandées par Adeline
Autism Self Advocacy Network (ASAN), en anglais
Fédération québécoise sur l’autisme : L’autisme en chiffres
Société franco-ontarienne de l’autisme
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