À la suggestion de plusieurs personnes, Julie Marinier-Desjardins a rencontré une patiente du 4CR, la veille de son congé. Portrait d’une femme hors du commun, qui apprécie Montfort presqu’autant qu’elle a apprécié faire le tour du monde.
Gail est née en 1941. Elle aura 78 ans en novembre. Originaire de la Saskatchewan, elle s’est exilée de ses prairies natales pour s’installer à Ottawa afin de poursuivre ses études. Détentrice d’une maîtrise en études canadiennes de l’université Carleton, elle a passé près de 20 ans de sa vie à parcourir le monde avec son mari, un représentant des Affaires étrangères.
Son séjour à Montfort
Un petit matin, à la fin juin, Gail souffrait terriblement. Sa fille a décidé d’appeler l’ambulance en raison des violents symptômes de sa mère.
Les paramédics ont d’ailleurs conduit Gail à Montfort à sa demande, puisque, pour elle, Montfort a une certaine valeur… sentimentale. Au fil des années, elle a souvent accompagné son mari, aujourd’hui décédé, pour qu’il passe plusieurs tests ici.
Elle me dit qu’elle aime l’esprit de communauté qui règne à Montfort. Ce qui l’a le plus impressionné lors de son admission :
ils ne m’ont pas dit « nous voulons que vous restiez ». ils m’ont plutôt dit : « Nous aimerions que vous restiez afin que l’on vous aide à aller mieux ».
Ce qui peut parfois sembler minime pour le personnel médical a fait toute une différence dans l’esprit de Gail. Elle est donc restée durant deux semaines et, de son propre aveu, a vraiment vu la différence.
Alors que la vie l’a amené à vivre un peu partout à travers le monde et qu’elle aime voyager pour rendre visite aux amis qu’elle s’est faits dans différents pays, Gail ne sort pratiquement plus depuis 2017. Ses médicaments ont comme effet secondaire de la faire saigner du nez. Régulièrement et abondamment. Comme les saignements sont imprévisibles, elle préfère rester chez elle plutôt que de risquer un saignement de nez en public.
Sans vraiment s’en apercevoir, elle a sombré tranquillement dans la dépression. Elle ne mange pratiquement plus, se lève le matin sans véritable raison d’être et, avec le recul, elle réalise aujourd’hui à quel point elle a dépéri au cours des deux dernières années.
Elle remercie d’ailleurs les professionnels de la santé avec lesquels elle a été en contact durant son séjour et qui ont pris le temps de l’écouter, qui l’ont pris au sérieux et qui ont travaillé avec elle pour qu’elle se rétablisse.
Elle reprend du mieux, vraiment. Et elle tient à dire que c’est grâce à l’équipe qui l’a traitée, de l’urgence au 4 CR, qu’elle est en mesure de rentrer chez elle en meilleure état, à la fois physique que psychologique.
merci à tout le monde à montfort. vous avez sauvé ma vie.
Un parcours inhabituel
Pour une femme née dans les années 40, il n’était pas courant de faire des études supérieures. Généralement, les femmes étudiaient, trouvaient un mari puis élevaient une famille.
Gail avait de plus grandes ambitions.
Jeune femme intelligente, elle se passionne pour l’histoire. Sa famille a d’ailleurs fait partie des pionniers qui ont en quelque sorte défriché la Saskatchewan, sa province d’origine. Mais elle voyait grand et souhaitait voir le monde. Elle s’est donc inscrite à l’université Carleton, où elle a obtenu sa maîtrise en études canadiennes.
Elle obtient un poste avec le ministère des Affaires étrangères. Enfin! Elle pourra prendre son envol… mais elle est jeune et en amour. L’homme qu’elle fréquente, qui travaille lui aussi aux Affaires étrangères, ne peut s’imaginer la voir partir pour une assignation différente de la sienne. Il demande donc Gail en mariage.
C’est le début d’une aventure, probablement fort différente de celle qu’elle envisageait.
Deux décennies à travers le monde
Première destination, la Malaisie. Bien que la vie dans le service extérieur puisse être stimulante et permette de découvrir le monde sous un angle différent du voyage touristique, on oublie parfois le côté plus obscur, parfois dangereux. Peu de temps après son arrivée en Malaisie, Gail et son mari se sont retrouvés au centre des violences qui faisaient rage dans leur ville. Elle raconte aujourd’hui la situation sans entrer dans les détails, comme si c’était normal. Probablement que le recul lui a permis d’atténuer le stress d’un événement comme celui-là.
Après plusieurs mois en Malaisie, elle s’ennuie. Son mari travaille de longues heures. Dans les années 1960-1980, les femmes des représentants étrangers sont considérées, d’une certaine manière, comme des employées non rémunérées; incapables, dans bien des cas, de poursuivre leur propre carrière et forcées de s’adapter au stress des différences culturelles. Gail n’a pas fait exception.
Peu de temps avant son retour au Canada, elle reçoit l’autorisation d’enseigner l’anglais. Ses yeux s’illuminent lorsqu’elle le mentionne. Visiblement, l’enseignement est quelque chose qui la passionne.
L’assignation de son mari prend fin et elle doit rentrer au pays. Les deux décennies suivantes lui permettront de vivre en Allemagne, en Russie (à l’époque, c’était encore l’Union soviétique, ou URSS), à la Barbade et en République tchèque.
Ainsi, Gail parle couramment l’allemand et sa fille est née et a passé les premières années de sa vie à Berlin. Lorsque j’ai demandé à Gail si elle parlait aussi le russe, elle m’a répondu qu’elle ne considère pas vraiment qu’elle le parle… mais elle était suffisamment à l’aise pour discuter avec les femmes de chambre. C’était déjà plus que la plupart d’entre nous peuvent dire!
tu deviens très familière avec le mal dans le monde…
À chaque nouvelle assignation, Gail doit s’adapter à une nouvelle culture, une nouvelle langue et aux dangers des climats géopolitiques parfois instables.
Berlin à l’époque du mur, ce n’était pas l’endroit le plus tranquille, pas plus que la Malaisie ou Moscou à la fin des années 1970.
L’ambiance qui régnait dans sa maison à Moscou était particulière. Elle s’attendait à devoir superviser le travail du personnel d’entretien, mais Gail est convaincue que ce sont eux qui la surveillaient et qui rapportaient ce qu’elle faisait et qui venait la voir…
Rappelons que c’était l’époque de la Guerre froide entre l’URSS et les États-Unis.
À chaque endroit où elle a vécu, cette femme pleine d’ambition devait rester à la maison et superviser le travail des domestiques. Malgré tout, elle a toujours fini par obtenir l’autorisation d’enseigner, ce qui la remplit visiblement de joie.
Elle a finalement pris une retraite bien méritée en 2012. L’édition du livre Running on Empty, sur lequel elle a travaillé pour la Société historique de l’immigration canadienne, est maintenant terminée. Elle siège aussi à un conseil d’administration mais qui ne se réunit qu’une fois par mois…
La rencontre
Lorsqu’on m’a confié la tâche d’interviewer Mme Devlin, je venais de commencer à Montfort. J’étais étonnamment nerveuse à l’idée d’aller me promener sur les étages en quête d’une patiente qui semblait, selon les informations que j’avais reçues, avoir un parcours intéressant. Mais bon, qu’est-ce qui définit un parcours intéressant?
C’est donc avec une certaine nervosité et sans véritable préparation que je me suis rendue au 4CR. C’était ma véritable première assignation depuis mon arrivée et, comme toute nouvelle employée, je souhaitais prouver que j’étais à la hauteur de la tâche.
Je ne savais pas à quoi m’attendre lorsque je suis entrée dans la chambre ensoleillée de Gail Devlin.
Je suis encore surprise de la quantité d’information qu’elle a partagée avec moi. Je me sens choyée. Ma rencontre avec Gail m’a rappelé ma grand-mère. Une femme forte, une femme de tête.
Elle m’a aussi rappelé à quel point les gens ont des histoires, parfois insoupçonnables, à raconter. Gail est chanceuse, sa fille demeure près de chez elle et est présente pour elle. Ce n’est pas le cas pour toutes les personnes âgées.
Pensez à prendre des nouvelles des gens que vous aimez. Écoutez-les vous raconter leur vie, leurs récits pourraient vous surprendre.
Merci Gail pour votre générosité. Si un jour vous écrivez vos mémoires, je serai l’une des premières à les lire.