Ce conte écrit par Alexandre Yergeau (également auteur et poète) nous offre une perspective alternative alors qu’on entame une saison habituellement qualifiée de festive. On vit tous les choses différemment; soyez gentil, empathique et surtout doux envers vous-même. La compassion, c’est quelque chose qu’on vit à travers nos actions et pensées quotidiennes. Que ce soit envers nous-même ou les gens de notre entourage. Bonne lecture!


Marthe a perdu son conjoint il y a maintenant trois hivers. Depuis son décès, c’est comme ça qu’elle compte son temps, en hiver. Trois hivers, donc, que son conjoint est décédé. Après 57 ans de mariage, ça laisse un grand vide. Elle a décidé de remplir ses journées un peu trop longues en devenant bénévole à l’Hôpital Montfort, où son Roland est décédé. Au début, ça lui faisait de la peine de revenir à l’hôpital, mais finalement, c’est un peu comme si l’hôpital était devenu un lieu de recueillement, qui l’apaise.  


Max a tellement froid. Il vente vraiment fort sur le chemin Montréal. Elle essaie de se convaincre qu’elle déambule sans destination précise. Mais au fond d’elle-même, elle le sait bien, où elle se dirige: à l’urgence. Sa dose de méthadone doit être réajustée, encore. Pour elle, le plus simple, c’est d’aller à l’urgence. Elle peut se reposer, recharger son cellulaire, manger un sandwich. Et peut-être, si elle est chanceuse, aller un peu mieux. 


Melissa est toujours un peu plus triste en décembre. C’est le mois où sa maman est décédée, dans sa réserve à plusieurs centaines de kilomètres d’Ottawa, de Vanier, du chemin Montréal, de l’hôpital, de l’unité où elle travaille, ce soir.  Elle a de la peine ici, et là-bas. Comme si la distance l’obligeait à vivre son deuil en double. Cette année, pour l’aider avec sa peine, elle a décidé de donner certains des vêtements de sa mère à la garde-robe des bénévoles. C’est sa façon de garder sa mère vivante, elle qui a toujours été si généreuse. En plus, elle a décidé de donner une belle couverture tissée, que sa mère portait souvent lorsqu’elle se berçait. Pour les peuples autochtones, les couvertures sont des symboles qu’on associe entre autres à la vie. Elle espère que ça apportera un baume à la personne qui la portera. Ce sera une façon de garder sa mère en vie, et d’amener un tout petit bout de sa réserve, ici. 


Max arrive à l’urgence. Comme prévu, il y a pas mal de monde. Pas grave, elle pourra se reposer un peu. Mais elle continue d’avoir froid, tellement froid. Comme si son cœur avait déménagé au Pôle Nord.  


Tout de suite, Marthe la remarque. Une grande fille aux yeux couleurs icebergs qui, malgré son jeune âge, semble avoir déjà vécu pas mal plus de vies qu’elle. Elle décide d’aller s’asseoir à ses côtés. « Bonjour, ma belle, est-ce que je peux faire quelque chose pour toi? » 

« J’ai oublié mon manteau, j’ai pas mal froid » répond Max. Marthe dépose sa main sur celle de Max. « Je vais voir ce que je peux faire. » 


Marthe se dirige vers la garde-robe des bénévoles, où se trouvent plein de vêtements apportés par le personnel pour celles et ceux qui en auraient besoin.  Elle espère trouver quelque chose pour Max. Et justement, elle voit une belle couverture de laine, tissée finement, aux couleurs sobres et réconfortantes. Quel beau don, quelle générosité d’avoir offert cette couverture.  

Marthe retourne à l’urgence et trouve Max assoupie sur son fauteuil. Doucement, elle dépose la couverture sur elle, puis la laisse. 


Quelques instants plus tard, Max se réveille. Une jolie, et si douce, couverture, la recouvre. 

Max sait que peu importe toutes les couches de vêtements qu’elle portera, elle continuera d’avoir froid. Elle a froid jusqu’aux os. Et elle sait qu’en plus de devoir lutter contre le froid, elle devra continuer à se battre contre elle, malgré elle.  

Mais au moins, avec sa nouvelle couverture, elle aura l’impression d’avoir un bras autour de ses épaules pour se sentir moins seule. Le bras de Marthe. Le bras de Melissa. 

Alexandre Yergeau
Alexandre est chargé de projets au Bureau de projet. Après un stage à l’Hôpital Montfort à l’automne 2011, quelques contrats et un petit détour vers le Québec, il est au Bureau de projets depuis le printemps 2015.