Le projet de recherche de Mélyna au Nunavik

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Toutes les six semaines, Mélyna Désy Bédard dit aurevoir à ses collègues de l’Urgence à Montfort, puis elle s’envole dans un petit village du Nunavik, dans le grand nord québécois.

Pour les six semaines qui suivent, l’infirmière autorisée occupe un poste dans un centre de santé de la région. 

Petit avion de la compagnie Air Inuit

Quand Mélyna a terminé ses quarts de travail, elle passe alors en mode recherche, puisqu’elle complète son projet de maîtrise sur « les hospitalisations et traitements involontaires en psychiatrie » auprès de la population Inuit du Nunavik.

Originaire de Gatineau, Mélyna a commencé sa carrière avec une technique en sciences infirmières. « Le pur hasard a fait que je me suis retrouvée en 2012 dans le grand nord. » Elle travaille chez les Cris de la Baie James comme infirmière en rôle élargi. Puis, après avoir travaillé dans une urgence recevant une clientèle ayant des problématiques de santé mentale à Gatineau, elle remonte vers le nord, cette fois pour travailler à l’unité de soins du centre de santé dans la communauté où elle travaille actuellement. Elle y restera à temps plein pendant deux ans et demi. 

À l’époque, Mélyna n’était pas encore totalement convaincue d’avoir trouvé la bonne carrière pour elle. Pendant qu’elle est dans le nord, elle décide de faire un certificat en anthropologie et plus spécifiquement en études autochtones. 

Cette nouvelle perspective sur les problèmes des communautés autochtones lui donne le goût d’aller plus loin dans son cheminement. 

« À l’hôpital du Nunavik dans lequel je travaille, tous les professionnels sont allochtones, c’est-à-dire qu’ils viennent du sud. En commençant à lire et me renseigner, je me suis rendu compte que nous, les professionnels de la santé – tout comme la GRC et autres institutions gouvernementales – nous avons participé à des processus coloniaux. Je me suis demandé comment est-ce que ceci peut avoir influencé la relation des autochtones avec les professionnels de la santé aujourd’hui? »

En 2018, Mélyna revient dans la région d’Ottawa pour réaliser son baccalauréat en sciences infirmières. Une fois diplômée, elle continue immédiatement vers la maîtrise en sciences infirmières à l’Université du Québec en Outaouais. Elle commence aussi à travailler à Montfort comme infirmière autorisée en juin 2021.

Comme étudiante-chercheure, Mélyna elle-même se retrouve face aux différences linguistiques et culturelles entre elle et les gens du Nunavik. Elle a eu beaucoup de difficulté à faire comprendre son sujet de recherche : en effet, il n’y a pas de mots en inuktituk pour traduire « hospitalisations et traitements involontaires en psychiatrie »!  

Scène de nature arctique au printemps

Heureusement, elle se sent bien entourée, notamment par son directeur spécialiste de l’éthique et des processus médico-légaux en sciences infirmières, mais également par sa co-directrice de mémoire qui est anthropologue et titulaire d’une chaire de recherche sur les relations avec les sociétés inuites. Entre 18 et 23 personnes de la communauté participeront à son projet de recherche, par le biais d’entrevues indiviuelles et de groupe.

Mélyna avait déjà noté que les services en santé mentale offerts dans le nord sont très bio-médicaux et donc axés sur la médication. Dans les analyses préliminaires, les participants à sa recherche confirment que la médication peut les aider à gérer des deuils difficiles, mais que c’est comme de mettre un plaster sur une hémorragie : on ne s’attaque pas à la racine du problème.

Comme ils le disent, quand ça va mal, « je suis un Inuk et je veux parler à un Inuk ». N’ayant accès qu’à des professionnels de la santé allochtones, ils ne perçoivent pas les services comme étant adéquats et donc ils ne demandent pas d’aide. Une personne en détresse psychologique va tout garder à l’intérieur et ne parlera pas de ses émotions. Il est possible que même les gens de sa famille ne soient pas au courant de ses problèmes. 

« À un moment donné ça explose, et c’est là qu’ils arrivent au service de santé mentale: en situation de crise. Souvent le seul moyen d’accéder au service de santé mentale, c’est d’y être obligé. » Le centre de santé dans lequel elle travaille couvre sept villages du Nunavik, et il faut se déplacer en avion pour aller chercher un patient en crise. « On ne leur explique pas toujours ou les différentes barrières ne leur permettent pas de comprendre ce qui se passe. On ne leur donne pas toujours accès à un avocat, en temps opportun. Lors du transport en avion, ils doivent souvent être mis en contention pour des raisons de sécurité; même si on les prend en charge, on n’a peu de ressources adéquates en santé mentale… »  

Si une hospitalisation à plus long terme ou que les ressources au Nord sont insuffisantes pour évaluer et traiter certains usagers, ceux-ci se retrouvent dans un centre tertiaire au sud de la province. Ils se retrouvent donc à naviguer dans un milieu où les interactions se font dans une langue qu’ils ne parlent pas toujours bien, et dans une culture qu’ils ne comprennent pas pleinement. Après avoir obtenu leur congé, des usagers se retrouvent parfois en situation d’itinérance dans les rues d’une grande ville.

(Nunavik étant au nord du Québec, son corridor de service est vers le sud du Québec; quant aux patients du Nunavut, situé au nord de l’Ontario et du Manitoba, ils viennent habituellement à L’Hôpital d’Ottawa, et les enfants vont au CHEO).

Chien se promenant dans la toundra en fleur au printemps, par une journée brumeuse

Mélyna ajoute que les communautés Inuit sont des sociétés collectivistes; le problème d’un individu est imbriqué dans des problèmes familiaux et intergénérationnels souvent issus de la colonisation et les données préliminaires démontrent l’importance d’avoir une approche de guérison familiale.

Enfin, Mélyna, qui fait des aller-retours au Nunavik depuis 2016, a aussi noté le haut taux de roulement chez ses collègues. Ceci représente un défi supplémentaire puisque les travailleurs de la santé n’ont pas le temps de développer les compréhensions linguistiques et culturelles de la communauté locale. Il faut dire que la situation n’est pas facile et que les infirmières du centre de santé où elle travaille ont même lancé un mouvement de grève il y a quelques semaines pour dénoncer le manque criant de personnel. 

« Moi, au final, je ne viens pas critiquer les gens qui travaillent sur le terrain; ce n’est pas moi qui vais parler, mais les données. Mon objectif, c’est de donner une voix aux Inuits, qui souvent ne sont ni questionnés, ni entendus. »

Mélyna compte finir ses entrevues lors de sa prochaine visite dans le nord, puis elle fera la transcription de ces entrevues pour les analyser. Enfin, elle présentera ses résultats aux participants de la recherche. « Je veux valider ma compréhension avec eux avant de finaliser ma thèse, pour m’assurer que mes perceptions sont justes. »

Une population très différente des Premières nations

Une trentaine de personnes chaudement vêtues se rassemblent pour accueillir et célébrer deux hommes portant des dossards qui viennent de terminer une course de traineau.

Mélyna souligne que les Inuits ont des traditions différentes des autres autochtones canadiens : l’Église est très présente et le christianisme a transformé plusieurs pratiques traditionnelles de guérison. C’est pourquoi il est nécessaire de documenter les moyens contemporains, unique à ce peuple, d’envisager ces processus et de travailler en amont, pour offrir des alternatives qui respectent mieux les besoins de ces communautés. 

Il n’en demeure pas moins, que certains éléments sont restés, tels que la couture, la pêche et surtout la chasse : l’homme va chasser, la femme transforme la fourrure. Ces traditions sont souvent intégrées dans plusieurs services afin de mieux respecter les besoins des usagers : « Quand on a des aînés qui viennent à l’hôpital, on leur offre de la nourriture traditionnelle: de la viande crue congelée ou du poisson cru », ajoute-t-elle. 

Une expérience qui sert aussi à Montfort

L’expérience acquise dans le nord enrichit les interactions de Mélyna avec les usagers Inuits à l’Urgence de Montfort. 

« Mon premier patient Inuk était une personne âgée qui ne parlait ni français ni anglais », se souvient-elle. « Et moi, je parle inuktituk comme un enfant de deux ans! Je lui ai dit quelques mots et ses yeux se sont illuminés… J’ai pu lui poser quelques questions, lui demander s’il voulait un thé ou un café comme on en boit là-bas. Je l’ai aussi aidé avec la pharmacie, puisqu’au Nunavik, la médication est remise directement par l’hôpital. »

Elle se souvient d’un autre cas, quand elle est entrée dans la salle d’un patient en crise de santé mentale : dès qu’elle lui a parlé en inuktituk, il s’est calmé. En présence d’une patiente très nerveuse à qui il fallait faire des points de suture, Mélyne lui a offert d’écouter des chants de gorge, ce qui a aussi rassuré la patiente et facilité la suite.

Bien qu’elle ne recommande pas à ses collègues, s’ils n’ont pas vécu de telles expériences, d’aborder les usagers de cette façon, elle insiste pour dire que :

« comprendre les enjeux et la réalité des patients autochtones, ça peut vraiment faire une différence. »

Mélyna Désy Bédard

Les personnes intéressées à mieux connaitre et mieux offrir des soins à nos patients des Premières nations, Inuits ou Métis peuvent suivre la formation Sécurité culturelle autochtone, disponible en ligne sur le SGA et offerte à l’occasion en présentiel au centre Wabano.

Geneviève Picard
Geneviève est directrice de l'équipe des communications à Montfort depuis 2014, et vice-présidente depuis 2023. Quand elle n'est pas en train d'écrire pour le Journal Montfort, elle est maniaque de lecture, adore le yoga, chante dans une chorale, vient travailler en vélo mais seulement quand il fait beau, et ne fait jamais, jamais la cuisine.