Cet article, signé par Philippe Orfali, est paru dans un cahier spécial à l’occasion du 100e anniversaire du quotidien LeDroit, le 27 mars 2013.
La nouvelle avait eu l’effet d’une bombe, le 24 février 1997. La Commission de restructuration des services de santé, créée par le gouvernement de Mike Harris, annonçait la fermeture de l’Hôpital Montfort, programmée pour le 30 juin 1999, et la fusion de ses activités avec celles d’autres hôpitaux de la région, tous majoritairement anglophones.
Les Franco-Ontariens étaient piqués au vif. En cette période d’austérité budgétaire, les progressistes-conservateurs ne venaient pas que d’annoncer la fermeture d’un hôpital. C’est la destruction de l’une des plus grandes institutions de la francophonie ontarienne qu’ils venaient d’orchestrer.
L’espoir repose alors dans une « période d’appel » de 30 jours. Trente jours pour faire valoir au gouvernement provincial l’importance de préserver le seul centre hospitalier universitaire francophone de l’Ontario. Trente jours pendant lesquels LeDroit fera de cette lutte sa manchette, jour après jour.
On a fait grand cas de l’implication directe et sans équivoque du quotidien LeDroit dans la lutte pour la survie de Montfort. La décision de la direction du journal de s’investir entièrement dans cette nouvelle lutte du peuple franco-ontarien en a fait sourciller plus d’un, à Ottawa et ailleurs au pays. Le grand patron de l’époque, Pierre Bergeron, juge néanmoins qu’il aurait été impensable, pour ce journal né de la lutte, principal outil d’information et de mobilisation de la communauté francophone d’Ottawa, de demeurer de glace et de s’en tenir à une couverture purement neutre.
« L’esprit retrouvé de 1913 »
Quatre-vingt-quatre ans presque jour pour jour après sa fondation, Le Droit se devait de remonter aux barricades. C’était son devoir. Sa mission.
« C’est l’esprit retrouvé de 1913 qui a animé LeDroit », dit-il. En moins d’un mois, la pétition lancée par le journal a récolté pas moins de 135 000 signatures. Une mobilisation sans précédent pour ceux qu’on avait déjà qualifiés de « cadavres encore chauds ».
« Bien sûr, j’ai eu droit aux remontrances de ceux qui estimaient que l’engagement de notre journal ne faisait pas très “professionnel”. En 1997, s’engager aussi catégoriquement dans une cause ne faisait plus partie des mœurs journalistiques. Mais c’est exactement ce qu’il fallait faire et ce qu’il faudrait refaire », assure l’ancien président et éditeur. Le 22 mars 1997, près de 10 000 personnes se mobilisaient au centre municipal, à l’occasion du Grand rassemblement franco-ontarien.
« Montfort fermé : jamais ! », crièrent-ils.
Le lendemain, LeDroit publiait une de ses rarissimes éditions du dimanche.
« Nous avions tous compris que lorsqu’une de nos institutions est menacée (école, collège, université, journal, station de radio ou de télé, institution financière), c’est toute la communauté qui est menacée, poursuit M. Bergeron. Ce sont des gens, des parents, leurs enfants et leurs descendants qui sont menacés. Et lorsqu’ils ont crié “Montfort fermé, jamais !”, c’était un cri du cœur, la prise de conscience collective d’un refus de s’éteindre à petit feu. »
L’année suivante, la Fondation des Prix Michener, qui honore l’excellence en journalisme canadien, remettait une mention spéciale au Droit « pour ses 371 reportages, 31 éditoriaux et 177 lettres d’opinion publiés pendant la formidable mobilisation qui a suivi la décision d’une commission du gouvernement ontarien de fermer l’Hôpital Montfort ».
« Le journal aura été le fer de lance d’une réaction extrêmement forte qui a réussi à conserver certaines activités de l’hôpital », soulignait la fondation.
La lutte de Montfort a duré cinq ans. Le 7 décembre 2001, la Cour d’appel statuait que le gouvernement ne pouvait ainsi s’en prendre à l’une des plus importantes institutions de la communauté francophone. Le 1 er février 2002, le ministre de la Santé de l’Ontario, Tony Clement – aujourd’hui président du Conseil du Trésor fédéral –, annonçait à Montfort même que le gouvernement n’interjetterait pas appel devant la Cour suprême.
La victoire était complète. « Avec ses lecteurs et tous ceux qui ont mené ce juste combat, LeDroit n’a fait qu’incarner sa devise », conclut M. Bergeron.
L’avenir est à ceux qui luttent.
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