Pandémie COVID-19 : l’occasion d’améliorer l’intégration des professionnels de la santé formés à l’étranger

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En blaguant, une amie me disait un jour « si quelqu’un sortait de ce confinement tel qu’il y est entré, c’est qu’il est vraiment de la mauvaise foi ». Nous en avons ri, car nous pensions à tout le ménage que nous traînions à cause des différentes activités auxquelles nous devions assister. En effet, la crise sanitaire mondiale liée à la pandémie COVID-19 a apporté différents changements tant dans nos vies individuelles que familiales et communautaires : soudain, on avait trop de temps et on ne savait plus comment s’occuper; les parents se sont retrouvés enseignants de leurs enfants et les enfants commençaient même à regretter de ne pas être à l’école!

S’il est vrai que chacun a eu assez de temps pour faire le ménage dans son environnement immédiat, qu’il soit intrinsèque (corps, âme et esprit) et extrinsèque; cela va de soi pour nos systèmes et, en particulier, le système de santé des différents pays : il a fallu s’organiser autrement pour répondre aux besoins sanitaires des populations. D’ailleurs, ici au Canada, cette crise permettra, à en croire les différents discours, certainement d’adopter des mesures nécessaires pour améliorer notre système de santé. Plus particulièrement, les services à nos aînés dans les centres des soins de longue durée.

En fait nonobstant, toutes les stratégies mises en place pour pallier la situation, l’hémorragie des ressources humaines dans le domaine de la santé persiste et aucune évidence scientifique (à ce jour, en tout cas) ne peut prédire que cela s’améliorera avec les nouvelles mesures entrevues actuellement pour y pallier long terme.

Ne serait-ce pas le temps de commencer à penser différemment? Albert Einstein n’a-t-il pas dit « qu’on ne peut pas toujours faire la même chose et s’attendre à un résultat différent »?

À mon humble avis, le système de santé canadien pourrait bénéficier d’une amélioration de sa politique d’intégration des immigrants professionnels de la santé (PDS) formés à l’étranger : ne serait-il pas temps de repenser à différents modèles d’intégration de cette main d’œuvre riche en connaissances et en expertise pour répondre aux besoins de nos communautés?

Vous connaissez probablement différentes histoires de ces personnes considérées pas assez qualifiées pour travailler dans leurs domaines de formation, mais très qualifiées même pour faire d’autres types de travail. Les conséquences sont telles qu’on retrouve des médecins (parfois spécialistes dans des domaines très en demande) devenus chauffeurs de taxi pour subvenir aux besoins de leurs familles ou encore des infirmières chevronnées qui travaillent dans les industries à la chaîne, dans le but de répondre aux besoins familiaux. Les exemples se multiplient comme ça et la liste s’allonge. Ne vous y méprenez pas : je valorise TOUT travail (mon histoire personnelle en est un exemple). Cependant, je suis également adepte d’allouer les bonnes ressources aux bons endroits. 

Comment pouvons-nous clamer sans cesse la pénurie des PDS de toute catégorie alors que nous ne sommes pas en mesure de maximiser le potentiel du capital humain en notre possession? Croyez-le ou non, la composition de l’être humain (anatomie), son fonctionnement (la physiologie) de même que les mécanismes des maladies (la physiopathologie) sont les mêmes, quelle que soit la langue dans laquelle on les a appris. Est-ce qu’il y a des différenciations? Bien évidemment : au niveau de la spécificité de certaines maladies (par exemple, les maladies spécifiques aux régions tropicales vs les climats froids), l’organisation des systèmes et modèles des soins, la disponibilité des divers équipements, et j’en passe.

Et pour ce qui est des médecins, le fond du serment d’Hippocrate reste le même.

Alors, pourquoi ne pas faciliter l’intégration de ces personnes dès leur arrivée au Canada car plus le temps passe, plus on perd la main et la rapidité de fonctionnement comme professionnel de la santé dans un nouvel environnement : pourquoi ne pas privilégier plutôt l’intégration par compétences? Pourquoi ne pas recueillir des idées d’améliorations des personnes concernées? D’aucuns diraient que c’est ce qui est fait par le Conseil médical du Canada à travers les évaluations qu’il offre. C’est vrai! Cependant, le nombre minime des médecins immigrants qui ont obtenu leurs équivalences en dit long sur la facilité de ces processus.

Il faut l’avoir vécu pour le comprendre : pour les immigrants, il s’agit de la perte des repères face au réajustement (très difficile, voire pénible et impossible) de carrière associée à la difficulté d’adaptation socioculturelle dans un nouvel environnement. Je ne connais certainement pas les statistiques d’immigrants PDS qui ne travaillent pas dans leur domaine de formation, mais pour avoir vécu autant d’années au Canada, j’en ai rencontré beaucoup et j’ai entendu plusieurs histoires à ce sujet.

Par exemple, en quatre ans (2014-2018), le pourcentage de médecins formés à l’étranger est resté ‘stable’ soit de 25.6% à 26.4% (Institut canadien d’information sur la santé, 2018). En cette année 2020, le rapport du CaRMS (Canadian Resident Matching Service) a publié un taux de jumelage des R1 (qui est la porte d’entrée à la profession médicale) de 29% pour les diplômés hors Canada et États-Unis (DHCEU); avec le plus faible taux pour les régions d’Afrique et d’Asie.

Durant cette crise sanitaire, nos communautés ont eu besoin de TOUTE l’aide possible pour les appuyer à travers ces moments difficiles. Pourtant, parmi les PDS qui s’étaient portés volontaires, leur aide n’était pas nécessairement acceptée (on a tous suivi quelques reportages à ce sujet). Maintenant, imaginez la contribution que tous ces PDS immigrants auraient pu apporter pour soulager la congestion du système, éviter l’épuisement de nos collègues du domaine de la santé et, par-dessus tout, donner des soins à nos populations.

Si je revenais donc à la discussion avec mon amie que je mentionnais au début de cet article, je dirai « qu’en matière de l’intégration des immigrants PDS formés à l’étranger, notre système de santé ne devrait pas ressortir de cette pandémie comme il y est entré ».

C’est le temps de réfléchir sérieusement aux stratégies d’améliorations du système de santé; c’est le moment de repenser à des nouveaux modèles d’intégration de tous ces immigrants talentueux qui peuvent contribuer énormément à l’épanouissement de notre société.

Judith Makana, infirmière clinicienne spécialisée et médecin de formation


Vous avez aimé cet article de Judith? Lisez Du Congo au Canada, toujours par en avant, paru dans le Journal Montfort de septembre 2019.

Judith Makana
Judith travaille à Montfort depuis 2008, d'abord comme infirmière de chevet et maintenant comme conseillère à la pratique professionnelle (en passant par éducatrice clinique, commis, préposée et aide-soignante). Dans ses temps libres, Judith bouffe des films d'action (Jason! Jean-Claude!), après quoi elle retrouve le calme en allant marcher dans les rues de son quartier.