Petite histoire d’un grand ouvrage médical

2186
Louise Bourgault entourée de Diane St-Aubin, chef de service au Centre de Documentation du CHUM, et Dre Marie-Josée Dupuis, gynécologue-obstétricienne et directrice de l’enseignement et de l’Académie CHUM, en présence du livre. Photo : CHUM, 2014

Lors de mon orientation au bénévolat à l’Hôpital Montfort, j’avais été frappée par le système de numérotation des salles.  Je suis facilement distraite en observant des irrégularités.  Je remarque immédiatement ce qui devrait être autrement ou ce qui pourrait mieux paraître : une fausse note, une orthographe boiteuse, une police différente dans un court texte. 

Tous les lundis depuis plusieurs années j’accueille les visiteurs au kiosque à l’entrée principale et souvent je dois leur expliquer que des salles comme le 2B138 ou le 2D108 ne sont pas au premier étage.  J’ai une fois redirigé un visiteur qui cherchait le 1B105 au troisième étage parce qu’on lui avait dit que c’était tout près du 1B308.  J’ai même inventé un jeu pour permettre aux bénévoles de vivre l’expérience du parcours d’un visiteur perdu. Est-ce que c’est l’ADN de mes parents qui me porte à remarquer et à agir quand c’est « différent » ?

Justement, laissez-moi vous présenter mes parents.

Edmond Bourgault était résident en chirurgie à l’Hôtel-Dieu de Montréal (maintenant le Centre hospitalier de l’Université de Montréal) en 1932.  Il courtisait Jeannine Leduc, infirmière à l’hôpital Notre-Dame.  Il aimait fouiller dans les archives de l’Hôtel-Dieu qui remontaient à l’époque de Jeanne Mance. 

(Ayant moi-même eu un emploi d’été à ces archives en 1960, je crois qu’en 1932 il n’y avait pas beaucoup d’attention portée aux trésors qu’on aurait pu y trouver.) 

Edmond a remarqué un gros tome relié en cuir brun qui était destiné au rebut.  Il avait été attiré par le titre Traité des maladies des femmes grosses et de celles qui sont accouchées de François Mauriceau, et la présence de ce livre dans les rebuts était pour lui une anomalie.  Il l’a apporté chez lui pour l’examiner.

En 1937, Edmond et Jeannine se sont mariés et se sont établis en Abitibi.  Après plusieurs mois de difficultés ils ont fait construire une maison et Jeannine a pu faire venir les bagages qu’ils avaient laissés à Montréal.  Tous deux se demandaient que faire de cet énorme vieux bouquin relié de cuir.  Jeannine l’a soigneusement rangé dans sa remise au sous-sol. Elle est plus tard revenue vivre à Montréal et a confié le livre à ma sœur. 

Il y a environ 20 ans, comme bénévole au Musée canadien des civilisations j’ai participé à l’élaboration d’activités pour une exposition sur la Nouvelle-France.  Le Musée nous a montré un de ses trésors, un manuel de François Mauriceau, considéré comme le père de l’obstétrique moderne.  C’était une cinquième édition.

Je suis allée en parler à ma sœur et je suis revenue au musée avec le livre qu’elle gardait.  Quelle fierté pour moi de leur apporter la quatrième édition publiée à Paris en 1694 !  Et de révéler la dernière page montrant un exergue manuscrit en belles lettres rondes en encre brunie De l’autel Dieu de st Joseph de ville marie 1711. 

J’imaginais l’émotion des religieuses hospitalières quand elles se rendaient au port de Ville Marie en 1711 pour recevoir l’arrivée annuelle des bateaux apportant de France les fournitures médicales et les nouveaux savoirs ! 

En 2014, ma famille a décidé que ce trésor devait retourner à L’autel Dieu de st Joseph de ville marie.  Le CHUM avait une collection de vieux livres dont celui-ci semblait le plus ancien. 

Mes parents Edmond et Jeannine avaient préservé un trésor culturel qu’ils avaient remarqué parce que c’était « différent » !

Le 26 août dernier j’ai appris dans une émission de Radio-Canada que le CHUM allait donner sa collection de volumes anciens à divers établissements. Je me suis demandé qui saurait raconter l’histoire de ce livre tricentenaire venu de Paris qui aura passé un quart de son existence dans une famille de l’Abitibi ?

Le Journal Montfort a posé la question au CHUM qui a répondu : « le CHUM a fait don du Traité des maladies des femmes grosses et de celles qui sont accouchées à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales de l’Université de Montréal dans le but de préserver ce trésor culturel. En effet, cette bibliothèque dispose des infrastructures nécessaires à la conservation des ouvrages anciens ou précieux et des ressources humaines permettant leur valorisation. Mieux que nous, elle saura en prendre soin, comme Mme Bourgault et sa famille l’ont fait pendant plus de 80 ans. »

Louise Bourgault
Louise est bénévole à l’accueil de l’entrée principale depuis quatorze ans. Elle est membre du CA de l’Association des bénévoles et membre du Comité d’éthique de la recherche. Elle a souvent joué le rôle de patiente dans des productions audio-visuelles de Montfort. Elle est passionnée d’opéra, surtout baroque. Elle a beaucoup voyagé, à l’époque où c’était encore agréable de voyager.