D’apprenti fabricant d’orthèses à médecin-chercheur spécialisé en activité physique, le directeur scientifique de l’Institut du savoir Montfort nous raconte, dans ses mots, une vie riche en « boucles à boucler ».
Je suis né à Lachute et j’ai grandi dans Wrightville (un secteur de Hull, maintenant Gatineau), en bas de la côte de l’Hôpital de Hull, dans la paroisse La Guadeloupe. Je pouvais prendre mes skis de fond, traverser le champ du fermier et aller skier dans le parc de la Gatineau.
Je viens d’une grosse famille, j’étais le huitième de 12. Avec les neuf gars, on faisait une équipe de baseball! On était des sportifs, des bons sportifs. Baseball l’été et hockey l’hiver. Les coaches voulaient tout le temps avoir plus de Prud’homme dans leurs équipes.
Au primaire, j’étais le p’tit gars qui s’active dans le fond de la classe. Jusqu’en 9e année, quand un prof a remarqué que j’étais bon en maths…
On a perdu ma mère quand j’avais 11 ans, un cancer du sein fulgurant. Mon frère le plus vieux avait 18 ans, les deux derniers, des jumeaux, étaient encore petits. Mon père a pédalé. Une bonne partie de notre éducation s’est faite « par les pairs », les plus vieux veillaient sur les plus jeunes… Mais ça a aussi fait que notre famille est très proche.
J’ai joué au hockey compétitif jusqu’au niveau midget (16-17 ans). C’est là que je me suis rendu compte qu’avec ma grandeur, si je voulais garder mes dents, ce serait mieux d’arrêter!
Mais mon sport, vraiment, c’était la course.
Ce n’était pas très populaire à l’époque et ce sont les Jeux olympiques de Tokyo en 1964 qui m’ont inspirés. J’ai vu l’Américain Billy Mills franchir la ligne d’arrivée du 10 000 mètres, j’ai éteint la télévision, j’ai mis mes chouclaques et je suis allé courir sur la piste de course de l’école secondaire Philemon-Wright.
J’étais surtout fort au cross-country. J’ai participé aux premiers Jeux du Québec, à Rivière-du-Loup en 1971. J’ai gagné le championnat provincial du Québec dans la catégorie juvénile, et participé aux Championnats canadiens.
Je faisais aussi du canot camping – dans le parc Papineau-Labelle, au lac Petit Poisson Blanc. J’ai donné des cours de canot et d’escalade pour le Service des loisirs de la Ville de Hull.
Le sport, le plein air prenaient beaucoup de place.
Des clients « amputés, obèses, diabétiques et dépressifs »
Quand j’ai fini mon secondaire à l’École secondaire de Hull, ce n’était pas clair dans ma tête où je voulais aller. J’ai entendu parler d’un cours en technique d’orthèse et prothèse, à l’Institut de réadaptation de Montréal. J’ai étudié là un an et demi. J’avais 17 ans.
J’ai remarqué qu’on « appareillait » beaucoup de personnes amputées, obèses, diabétiques et dépressives.
Les gens avaient dû se faire amputer la jambe à cause du diabète, on leur mettait des prothèses mais ils étaient dépressifs et n’arrivaient pas à faire de l’activité physique, donc ils étaient de plus en plus obèses et de plus en plus diabétiques…
Je me posais des questions sur les conditions de ces patients, je me demandais pourquoi on ne les entraînait pas avant et après les avoir appareillés; pourquoi on n’avait pas une approche multidisciplinaire, avec des psychologues.
C’est là que je suis retourné au cégep de l’Outaouais, en sciences de la santé. Ensuite, je suis allé à l’Université Laval en kinésiologie. J’ai eu des profs excellents, passionnés, créatifs, qui questionnaient continuellement.
En dehors des classes, je me faisais de l’argent de poche comme coach de trois équipes de volleyball et comme assistant de laboratoire en évaluation de la condition physique.
J’ai continué à la maîtrise en physiologie de l’exercice avec une composante génétique. Ma thèse de maîtrise portait sur l’influence de l’hérédité sur la capacité aérobique. J’ai entraîné une vingtaine de paires de jumeaux identiques (mais pas mes frères – ils ne sont pas identiques!)
Notre étude était la première à démontrer que certaines personnes n’ont aucune amélioration de leur performance cardio-vasculaire quand ils font de l’exercice. Ça m’a appris que ce n’est pas tout le monde qui répond de la même façon à un traitement ou un médicament.
Le monde de la médecine sportive
Ensuite j’ai été accepté en médecine à l’Université Laval. J’ai fait ma résidence à l’Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis, en médecine générale. J’aimais le feeling d’être dans un hôpital! Je me préparais à aller travailler en Gaspésie quand je me suis fait offrir un poste de professeur en kinésiologie, au pavillon de l’éducation physique et des sports (PEPS) de l’Université Laval.
J’ai eu l’opportunité de faire un fellowship à la clinique de médecine du sport au PEPS. De 1988 à 2001, je travaillais 50 % de mon temps à l’université comme professeur, et 50% dans la clinique au PEPS. Je m’occupais de toute la recherche clinique, des essais pharmacologiques, des examens et tests physiques, tout ce qu’on pouvait faire de clinique en recherche dans le domaine de l’obésité, du diabète, des lipides et de l’exercice.
Durant cette période, je me suis aussi impliqué avec les Nordiques de Québec, l’équipe canadienne de patinage artistique; j’ai été médecin chef de l’équipe canadienne aux Jeux de la francophonie à Paris en 1994. C’était un des avantages d’être professeur : je pouvais partir avec les équipes nationales pour une ou deux semaines, je n’avais pas de clinique à fermer. J’ai aussi fait beaucoup d’éducation sur le dopage dans le sport et surveiller les tests de dopage lors de championnats du monde qui se déroulaient dans la région de Québec.
Retour aux sources
En 2000, l’Université d’Ottawa et l’Université de Montréal m’ont approché pour que je devienne directeur de leur programme en kinésiologie. J’ai fait les tableaux des « pour » et des « contre » entre les deux offres – ça arrivait pas mal égal.
Là je me suis dit : « À 70 ans, avec qui je veux jouer au golf? Tous mes frères sont en Outaouais… » et c’est dans cet esprit que je suis revenu dans la région.
Après un an comme directeur du programme de kinésiologie à uOttawa, j’ai été nommé doyen de la faculté des sciences de la santé, qui regroupait sciences infirmières, kinésiologie et réadaptation. J’ai fait deux mandats de cinq ans. Mon objectif était de mettre en place une culture de collaboration, de partage, d’améliorer la qualité de l’enseignement et l’intensité de la recherche interdisciplinaire. On a développé trois doctorats et quatre maîtrises.
La communauté francophone est venue nous voir et a demandé qu’on forme des diététistes qui parlent français. En l’espace de deux ans, avec trois profs, on a lancé un programme en sciences de la nutrition, qui est maintenant devenu une École professionnelle.
J’ai aussi contribué à créer le programme interdisciplinaire en sciences santé. Je voulais que les étudiants qui visaient une carrière en santé qu’au-delà des cours en biologie puissent suivre des cours en psychologie, en sociologie, en éthique, en analyse quantitative et qualitative, afin d’avoir une meilleure compréhension du système de santé et, de leur donner des outils pour pouvoir améliorer le système. Le programme a commencé avec un seul prof et maintenant c’est un des programmes les plus populaire sur le campus.
Faire grandir Montfort comme hôpital universitaire francophone
Tous nos diplômés avaient besoin de faire des stages et pour moi, c’était évident qu’il fallait développer l’offre de stages francophones avec Montfort. J’ai eu des discussions avec Gérald Savoie (le PDG de l’époque) et Dr John Joanisse (qui était médecin chef).
Tout ce que je pouvais faire pour appuyer Montfort, je le faisais.
On était conscients que pour que Montfort devienne un hôpital universitaire, ça prenait de la recherche. On a reçu une grosse subvention du Fonds canadien pour l’innovation, ce qui a permis à Montfort d’ouvrir le laboratoire de recherche qui se trouve dans l’aile E.
Après mes dix années de mandat comme doyen, j’ai pris un an pour me resourcer. Je me suis « caché » dans une aile du pavillon de l’Université d’Ottawa sur la rue Lees, j’ai repris mes entraînements et je me suis replongé dans la recherche.
En 2013, j’ai été nommé directeur scientifique pour ce qui était à l’époque l’Institut de recherche de l’Hôpital Montfort (IRHM).
À l’époque, Montfort faisait de la recherche en français sur les francophones. Je me suis dit qu’au-delà de la thématique francophone, ça prenait aussi de la recherche clinique. Il fallait trouver notre niche.
On a fait un tour d’horizon. On savait que les Franco-Ontariens sont plus âgés que la moyenne provinciale, qu’il y en a plus qui fument, qu’ils ont des problèmes de co-morbidité physique et mentale (plusieurs maladies chroniques en même temps), qu’ils ont une moins bonne condition physique en général. La communauté réclamait plus de services en santé mentale en français. Et le programme de formation phare à Montfort, c’est la médecine familiale.
C’est là que j’ai repensé aux patients que j’avais vu pendant mes 18 mois de formation en orthèses/prothèses.
Nous avons convenu de nous concentrer sur une meilleure prise en charge des gens qui ont des co-morbidités physique et mentale. Aujourd’hui, le créneau recherche a été intégré dans l’Institut du Savoir Montfort. Nous sommes enlignés avec la stratégie de l’hôpital, qui veut devenir un centre d’excellence clinique en gestion des maladies chroniques.
Le cercle vicieux des co-morbidités
30% des gens qui ont des maladies chroniques développent des problèmes de santé mentale
50% des gens qui ont des problèmes de santé mentale vont avoir des maladies physiques
Dans 70% des cas, une des deux conditions n’est pas prise en charge. Et quand elles sont prises en charge, c’est par des gens différents avec des spécialisations différente avec peu de communication entre eux.
C’est important d’être enlignés, et de profiter du fait que Montfort est un hôpital à échelle humaine : il y a moins de monde à convaincre pour faire bouger les choses, on est à proximité des gens. J’aime l’effervescence qu’on a maintenant Montfort, l’engagement de la haute direction envers la recherche; l’augmentation de l’implication des médecins et des professionnels de la santé en recherche.
Et en 2015, on est entrés au palmarès des 40 principaux hôpitaux de recherche au Canada.
Je viens d’accepter un nouveau mandat de cinq ans. Quand je suis arrivé, il y avait une trentaine de chercheurs affiliés; maintenant on est près de 100. En plus des cinq chaires existantes, j’aimerais créer des chaires de recherche pour les professionnels de la santé, en nursing, en psycho, et une chaire en multimorbidité.
Plus on va travailler en collaboration avec le volet éducation de l’ISM, plus on va avoir un effet sur la mobilisation des nouvelles connaissances pour améliorer l’accès, la qualité et la sécurité des soins à l’hôpital.
Je veux qu’on devienne LA référence sur l’approche collaborative et que Montfort soit l’endroit au niveau provincial qui gère le mieux les gens avec des maladies chroniques.
Une vie bien remplie
Il y a quelques jours, j’ai participé au tournoi de golf de la grande famille Prud’homme… c’était la 38e édition! Et avec ma famille plus immédiate, mes frères et sœurs, on ne manque pas les grands événements. On va faire du camping ensemble, on se voit à Noël, à Pâques…
J’ai deux gars. Dominic, mon artiste, est allé aux États-Unis pour se former en danse contemporaine. La danse, c’est un milieu très compétitif, très demandant. Alexandre, mon sportif, achève son secondaire en Sport-études au hockey et au soccer. On dirait bien que j’ai transmis l’amour du mouvement et de la discipline à mes enfants.
Je suis encore impliqué dans l’équipe canadienne de volleyball masculine, mais moins qu’avant.
Et pour la première fois de ma vie, j’ai un chalet, depuis septembre dernier. Il n’y a pas d’internet, ça me permet de me concentrer, de lire sans être distrait. J’ai toujours rêvé d’avoir une salle de lecture et de travailler avec une vue sur l’eau et maintenant j’ai un chalet avec un petit solarium avec vue sur le lac.
J’ai trouvé mon petit paradis par pur hasard… à Lachute, là où je suis né.
Je suis un gars de cercle, moi… Quand j’entreprends quelque chose, je m’assure de le terminer.